(Deux arbres s'inclinent avec effort comme attirés l'un vers l'autre. Leurs faîtes se touchent formant une arche. Par cette arche entre un personnage gigantesque l'air plutôt épouvantable qui doit absolument être maquillé violemment avec du rouge, du vert, du bleu, du blanc, surtout du noir; ses yeux sont immenses. Il a une cape sombre qui n'en finit plus et un chapeau de vilain de mélodrame. Il est nommé l'introducteur.)
L'introducteur — Frédéric Chir de Houppelande est le plus grand des poète.
Ses paroles comme des feuilles de thé au fond de la mer languissent, il est le frère du hibou et sa voix est sœur du hibou, son rythme repose dans l'huile et s'y tord et induit les cerveaux des jeunes filles de la brume verte, sa main pantelante est le spectre des nuits coagulées, Frédéric Chir de Houppelande sort de l'eau tout ruisselant et se promène sur le sable inondé d'ombre et heurte son front aux guêtres du chêne et la jeune fille piaule voluptueusement dans le désert blanc. Frédéric Chir de Houppelande est le plus grand des poètes et sa voix alourdit les cœurs de lianes rousses. Chir de Houppelande c'est moi.
(La jeune fille Corvelle bondit d'entre deux arbres en sautant sur les mains et en exécutant une pirouette.)
(L'introducteur bondit sur elle et l'empoignant aux épaules il la plie en deux et approche sa tête tout près de la sienne. Sa face est féroce.)
L'introducteur — Je voudrais porter à mes lèvres une larme de la nuit qui m'hallucine. Je suis halluciné, et je hurle et je hurle et les crépitements des mirages ne me répondent pas.
Corvelle — O Frédéric Chir de Houppelande, où es-tu? j'ai nagé en toi dans les remous du chant. Le filet de la lune est une ceinture qui m'unit à toi par les hanches. Deux chiens trînant un lourd ballon m'ont amené ici. J'ai rencontré un sillon ténébreux dans la nuit, un rêve incolore qui plie mon corps en deux. Frédéric Chir de Houppelande, je suis à toi, ton haleine est venue jusqu'à moi frôler de vapeurs tièdes mon corps. Je suis à toi, qui me dira où te trouver dans la virginité de la forêt?
L'introducteur — J'oserai rentrer dans les murailles des ténèbres à l'observation de cette jeune fille qui parle de Frédéric Chir de Houppelande. Mes ongles ont parfumé son cœur.
(Corvelle se roule par terre en riant.)
Corvelle — L'herbe sent mon corps et ainsi j'ai connu Frédéric Chir de Houppelande dans le réflecteur strident et blanchâtre de la pensée. La lune baisera mon ventre et la réponse coulera du pis pressé de l'étoile. L'univers en rut me murmure dans ses frémissements des paroles bien-aimées de Frédéric Chir de Houppelande.
(Un câble lancé des coulisses harponne une étoile; à l'autre extrémité du câble est une ancre de navire sur laquelle est assis Hurbur qui se balance ainsi dans l'espace, accroché à l'étoile.)
Corvelle — Un jeune homme se balance dans le lait immobile des étoiles. Je me suis donné rendez-vous dans la forêt, et j'écouterai la voix du poète Frédéric Chir de Houppelande.
(Pendant ce temps, l'introducteur ayant saisi sa cape dans sa main gauche en guise de semoir passant devant chacun des arbres de la forêt a fait le geste du semeur et les arbres à mesure qu'il les ensemence imaginairement s'illuminent de rouge comme s'il semait sur eux la couleur rouge.)
Les voix de la forêt (venant des arbres illuminés de rouge) — Je chante la voix de Frédéric Chir de Houppelande qui a dit: « Je berce la jeune fille comme le lac berce le ciel ».
Corvelle — Je veux être les copeaux de cette voix du poète.
Les voix de la forêt — Jeune fille, ne sens-tu rien?
Corvelle — Quel est le jeune homme qui tranche et retranche la forêt comme un balancier d'horloge?
Les voix de la forêt — Il est un nouveau Frédéric Chir de Houppelande.
(Le rouge disparait des arbres.)
Corvelle (les mains jointes, s'approchant de Hurbur qui se balance toujours flegmatique) — Est-il vrai que de l'ineffable Frédéric Chir de Houppelande tu as glané un reflet? Si c'est vrai, tu m'es infiniment cher. Prends-moi dans ton dos, nouveau Frédéric Chir de Houppelande, fais de moi deux ailes qui te porteront au ciel, ente-moi au reflet de mon immortel idéal. Qui es-tu? Mais réponds-moi.
(Il ne répond pas. Elle danse devant lui.)
Corvelle — Qui es-tu?
Hurbur — Je suis Hurbur, le danseur.
Corvelle — Hurbur et Corvelle.
(Tremblant comme un spasme, l'introducteur porte ses mains à sa gorge, il fouille fébrilement puis d'un geste saccadé il entrouvre sa cape sur sa poitrine; de sa poitrine sort un rayon de couleur jaune qui monte vers les étoiles.)
Hurbur — Je n'ai pas besoin de tes ailes, toutes les passerelles aux étoiles me sont soumises, mais tu peux venir avec moi. Je travaille, je travaille sans cesse.
(Il saute en bas de son ancre.)
Corvelle — La nuit s'étire comme un léopard, Hurbur, j'ai pris racine à ton flanc. Éternellement en moi cliquettent les échos de Frédéric Chir de Houppelande.
(Elle est éclairée de vert.)
Hurbur — Je mordrai en ta chair comme un soleil en délire. Viens dans ma niche. Suis-moi.
(Côte à côte Hurbur et Corvelle montent dans le ciel comme s'ils avaient un escalier ou une échelle. Rendu à la hauteur des étoiles, Hurbur s'arrête.)
Hurbur — J'ai soif.
(Il décroche une étoile et la porte à ses lèvres. Pendant qu'il boit, un nuage passe et cache les étoiles, Hurbur et Corvelle.)
(Tranquillement, religieusement, l'introducteur se couche par terre sur le ventre la face au sol ses bras tendus se croisant, en avant de sa tête. On entend Corvelle qui pousse un gémissement, elle fait: « Ah! » comme une personne qui s'endort.)
(Le nuage disparaît et l'on voit Hurbur au même endroit tenant à bout de bras au-dessus de sa tête le corps roide et ensanglanté de Corvelle. La tenant toujours au-dessus de sa tête, il descend lentement jusqu'au plancher et il dépose le corps inerte par terre. En même temps le soleil commence à éclairer la forêt. Hurbur hume l'air à droite et à gauche.)
Hurbur — La nuit prend fin.
Rideau
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