mardi 19 février 2008

L'hélid-monde

(Tous les personnages parlent un langage synthétique qui aspire au monosyllabisme. Ils s'expriment sans pauses, sans nuances, sans variété.)
(Trois scènes miniatures, ressemblant à des cabanes à chiens avec leur toit pointu, sont placées l'une à côté de l'autre sur la grande scène. Chacune des entrées de ces trois scènes est recouverte d'un rideau de même couleur, épais, inscrutable. Une longue planche part de la rampe de la grande scène et s'élève au-dessus de la salle. En avant des scènes miniatures, sur la grande scène, est un homme vêtu d'un costume d'explorateur qui fait tourner entre ses doigts une énorme sphère terrestre. C'est Ivan l'Invulnérable. Il fait tourner la sphère de plus en plus rapidement. Finalement la moitié supérieure se détache de l'autre moitié et lui reste entre ses mains. Ivan garde la moitié supérieure entre ses mains et il penche le nez vers l'intérieur de la moitié inférieure. De cette moitié inférieure sort un homme qui sera le personnage Lovico. Impassiblement, automatiquement, l'homme se dirige vers la scène miniature de droite et y pénètre par le rideau. Ivan et l'homme n'ont éprouvé aucune tentation de se regarder, ils n'éprouvent l'un envers l'autre aucun intérêt. De la moitié inférieure de la sphère sort une femme qui sera le personnage Blège. Dans la même attitude indifférente de l'homme, elle se dirige vers la scène miniature de droite et y disparaitît. L'attitude d'Ivan demeure identique. De la moitié inférieure de la sphère sort un homme qui sera le personnage Ivan l'Invulnérable. Ce personnage est le même personnage que Ivan l'Invulnérable qui était déjà sur la scène. Il n'y a aucune différence entre eux. Ils sont deux à être le même homme, voilà tout. Pour éviter confusion, Ivan l'Invulnérable, venant juste d'apparaître, est nommé Ivan l'Invulnérable le second; Ivan l'Invulnérable, déjà sur scène, est nommé Ivan l'Invulnérable le premier. Ivan le second se dirige vers la scène miniature du centre et y disparaît. Son attitude est celle d'Ivan le premier qui n'a pas changé. Sort de la moitié inférieure de la sphère terrestre un homme qui sera le personnage Blanugra. Il disparaît derrière le rideau de la scène miniature du centre. Son attitude est celle des précédents. Hors de la moitié de la sphère paraît à son tour un homme qui sera le personnage Corthir. Son attitude est la même; il disparaît derrière le rideau de la scène miniature de gauche. L'attitude d'Ivan le premier n'a pas changé. Ivan le premier se penche au-dessus de la moitié inférieure de la sphère; une sorte de grognement sort de cette moitié. Ivan a un sursaut d'effroi qui le fait reculer, on sent qu'il voit un monstre invisible sortir de cette moitié de la sphère; il suit des yeux cette bête invisible jusqu'à la scène miniature de gauche dont le rideau se soulève sous le passage d'un corps géant puis retombe à son état normal. Ivan le premier remet la partie supérieure de la sphère à sa place première. La scène est redevenue exactement comme au début. Ivan pousse la sphère terrestre à gauche et va s'asseoir à l'extrême avant-scène tout à fait à gauche, en petit bonhomme, les genoux dans ses mains, la direction de son corps orientée vers les trois scènes miniatures. Il prend figure de spectateur. Ivan le premier ne bougera pas de sa place jusqu'au moment où son intervention sera signalée plus loin; d'ici là, l'Ivan l'Invulnérable dont il sera question sera Ivan le second.)
(Le rideau de la scène miniature de droite se lève. Une cave où Lovico est à entrer par le soupirail. Comme Lovico met pied à terre, Blège entre.)

Blège — Vous, ici?

Lovico — Moi.

Blège — Vous venir vers moi?

Lovico — Venir voir votre mari.

Blège — Comment est votre amour pour moi?

Lovico — Ancien.

Blège — Sept ans sans nous voir.

Lovico — Nous nous sommes aimés.

Blège — Moi vous aimer encore.

Lovico — Moi ne plus vous aimer.

Blège — Mon amour être grand pour vous.

Lovico — Mon amour avoir été grand pour vous.

Blège — Nous avoir vécu des heures d'ivresse, de bonheur.

Lovico — Nous avoir été heureux. Moi concéder.

Blège — Toi vouloir recommencer?

Lovico — Non.

Blège — Au revoir.

(Le rideau se baisse. Lovico sort de ce rideau et diaparaît derrière le rideau de la scène miniature du centre. Le rideau de la scène du centre se lève. Un salon. Le haut mur du fond est beige. Dans le salon: une chaise et un buffet. Une carte géographique est dépliée devant les yeux d'Ivan l'Invulnérable; il a les bras étendus en croix pour tenir la carte. Sa figure est cachée pendant toute la scène. Lovico entre.)

Lovico — Ah. Explorateur.

Ivan — Je suis Ivan dit l'Invulnérable.

Lovico — Vous organisez une exploration dans la carcasse des mondes défunts?

Ivan — Dans la mythique île de la mort.

Lovico — Vous ne pas croire en l'île de la mort?

Ivan — Je n'en sais rien. J'irai où l'île de la mort se trouvrerait.

Lovico — Quand?

Ivan — Plus tard.

Lovico — Plus tard?

Ivan — Les déserts fantômes n'attirent pas. Il y a trop de mort à franchir. Personne ne recherche les charniers. Les hommes manquent. Moi, je suis prêt.

Lovico — Prêt moi aussi. Venu pour cela.

Ivan — Vous êtes un explorateur?

Lovico — Moi avoir découvert le ruisseau de l'Adob.

Ivan — Le ruisseau de l'Adob. Je croyais que Corthir avait découvert le ruisseau de l'Adob.

Lovico — Corthir et moi. Corthir appelait moi Fritchou.

Ivan — Ah. Je suis très content.

Lovico — Quand nous partir?

Ivan — Plus tard.

Lovico — Ah.

(Silence.)

Ivan — Regardez. Voici le plan.

Lovico — Vous avoir confiance en moi?

Ivan — Oui.

Lovico — Ah.

Ivan — Corthir est silencieux depuis dix ans. Que fait-il?

Lovico — Corthir ne plus travailler.

Ivan — L'action vous manque.

Lovico — Moi être venu à Ivan l'Invulnérable pour travailler.

Ivan — Je suis indécis.

Lovico — Moi avoir vu le plan.

Ivan — Du désert.

(Blanugra entre. C'est le père de Blège.)

Blanugra — Ivan mauvais gendre.

Ivan — Qu'y a-t-il?

Blanugra — Pourquoi la carte d'explorateur?

Ivan — Je projette.

Blanugra — Toi ne penser qu'à fuir ma fille. Mauvais mari.

Ivan — Sans Blège, je serais parti depuis longtemps.

Blanugra — Toi mentir. Toi vouloir fuir ton foyer.

Ivan — J'adore Blège.

Blanugra — Toi mentir. Toi rester avec Blège par pitié. Toi vouloir partir.

Ivan — Il n'y a aucun mal à être explorateur.

Blanugra — Moi haïr explorateur. Toi fuir ma fille.

Ivan — Fritchou, nous partons.

(Blège entre.)

Blège — Mon père, qu'est-ce que fait encore?

Blanugra — Lui te fuir. Lui explorer.

Blège — N'a pas sujet de chicane. Ivan rester uniquement pour moi ne pas être femme abandonnée. Ivan être généreux.

Ivan — Nous partons, Fritchou.

(Ivan plie la carte et sort suivi de Lovico.)

Blanugra — Gendre maudit.

(Le rideau de la scène du centre tombe. La grande scène devient intensément lumineuse. On a l'impression d'un soleil brûlant. Le rideau de la scène du milieu se lève. Ce qui était le haut mur beige donne l'impression du sable à perte de vue. Ivan et Lovico, qui est maintenant habillé en explorateur, marchent. Ils portent sur le dos des bagages. Ils semblent marcher depuis des jours.)

Ivan — Je crois que nous pouvons nous allouer trois gouttes d'eau.

Lovico — Croire aussi.

(Ivan plonge la main droite dans ses bagages et en sort le bout d'un tube dont le reste est enfoui dans les bagages; il ouvre la bouche et, pesant trois fois le bout du tube, il fait tomber trois gouttes d'eau du tube dans sa bouche. Lovico fait de même.)

Lovico — Explorer être dur. L'eau être nécessaire.

Ivan — Tu parles comme un enfant qui découvre une merveille inconnue.

Lovico — Moi découvrir connaissance.

Ivan — Tu parles comme un qui n'a jamais exploré.

Lovico — Peut-être.

(Ivan et Lovico se remettent en marche. Vers le milieu de la grande scène, ils se couchent pour dormir l'un à côté de l'autre et ils se relèvent aussitôt et se remettent en marche. L'action est synthétique. Ils sortent de la grande scène, à gauche, et ils rentrent aussitôt du même endroit en marchant dans le sens contraire. La lumière de la scène est brûlante. Vers le milieu de la scène, Ivan et Lovico se couchent pour dormir et ils se relèvent aussitôt et se remettent en marche, sortant de la grande scène, à droite. Ils ne restent hors de la scène que quelques secondes; pendant ces quelques secondes, de la scène miniature de gauche sort le même grognement bestial qui était sorti de la moitié de la sphère terrestre. Ivan et Lovico rentrent de la droite, toujours marchant. Ils ont fait quelques pas quand le rideau de la scène miniature de gauche se lève, découvrant un sol plat désolé et mort qui longe une rivière immobile, stagnante, lépreuse, qui ne donne aucun signe de mouvement.)

Lovico— Un mirage.

Ivan — Un cauchemar plutôt. Je ne vois rien d'attirant.

Lovico — Nous devoir nous percer un trou dans une croûte de mort.

Ivan — Allons voir de près cette eau sans vie.

(Lovico se débarrasse de ses bagages qu'il laisse sur la grande scène; avec Ivan, il monte sur la scène miniature de gauche, et tous deux s'approchent de l'eau. Lovico regarde à gauche et s'y tourne complètement; il a vu quelque chose d'intéressant. Il marche vers la gauche et y disparaît.)

Ivan — La terre sans vie est terre de la mort.

(Lovico revient avec un homme sur ses épaules. Cet homme, habillé en explorateur, tient dans sa main une lance couleur d'ébène.)

Lovico — Voici un homme moi avoir trouvé.

(Il le dépose par terre.)

Ivan — C'est Corthir. Il est méconnaissable.

Lovico — Corthir.

Ivan — Il faut le ranimer.

(Il envoie quelques gouttes d'eau dans le visage de Corthir au moyen de son tube.)

Corthir — Des hommes être autour de moi. Moi délirer.

Ivan — Corthir, je suis Ivan l'Invulnérable.

Corthir — Moi connaître Ivan l'Invulnérable.

Ivan — Je suis Ivan.

Corthir — Moi saluer Ivan.

Ivan (désignant Lovico) — Tu ne connais pas cet homme?

Lovico — Corthir ne pas connaître moi et moi ne pas connaître Corthir.

Ivan — Si vous êtes en querelle, Corthir reconnaîtra au moins Fritchou.

Lovico — Moi ne pas être Fritchou.

Corthir — Fritchou mort.

Ivan (à Lovico) — Qui es-tu?

Lovico — Lovico.

Corthir — Fritchou mort sur cette terre sans vie. Moi mourir aussi. Mon exploration m'avoir tué dans les déserts inconnus.

Ivan — Tu es venu ici sans le dire au monde.

Corthir — Moi être parti avec Fritchou seul. Moi ne pas avertir le monde. Moi avertir le monde quand l'œuvre est accomplie.

Ivan — Lovico, pourquoi m'as-tu menti?

Lovico — Moi avoir voulu partir avec Ivan l'Invulnérable.

Ivan — Le motif est suffisant.

Lovico — Nous continuer notre travail. Moi avoir été l'amant de votre femme avant elle connaître vous. Moi ne pas savoir cela quand venir chez vous.

Ivan — Brave type, Lovico.

Corthir — Ne me rester que cette lance de Fritchou, mon nègre dévoué.

Ivan — Nous ne savions pas que Fritchou était nègre.

Lovico — Non.

Corthir — Moi avoir vu Fritchou à côté de moi seulement pour le danger. Celle-ci être la lance de Fritchou. Le nègre invisible le danger passé.

Ivan — Corthir, ne meurs pas.

Corthir — Moi mourrai.

(On entend le grognement bestial terrible cette fois.)

Corthir — Fuyez, fuyez. Celui qui a tué Fritchou venir.

Lovico — Nous défendre Corthir.

Corthir — Trop tard. Moi mourir de soif et de misère.

(Ivan et Lovico reculent instinctivement. On sent qu'ils voient la bête invisible marcher sur eux.)

Ivan — C'est le dragon.

(Ivan et Lovico exécutent tous les mouvements d'une lutte avec une bête énorme et féroce. D'un coup de patte invisible Ivan est projeté en bas de la scène miniature de gauche sur la grande scène; il y reste, étourdi. Lovico est soulevé de terre, il hurle de douleur, et il s'affaisse, lâché. Ivan se libère de son étourdissement; on sent qu'il voit la bête venir sur lui. Il met ses mains dans sa figure pour se protéger. Corthir se met sur ses jambes et, courant vers Ivan, il enfonce sa lance dans le corps invisible de la bête. La bête hurle et, par Corthir qui la poursuit en chancelant, on s'aperçoit qu'elle se sauve sur la scène miniature du centre. Corthir l'y rejoint et enfonce plusieurs fois la lance dans son corps. La bête crie tout ce temps puis râle et pousse une plainte d'agonie. Alors, maintenant morte, la bête devient visible. C'est un dragon qui gît sur le flanc dans le fond de la scène miniature du centre. Entre-temps, le rideau de la scène miniature de gauche se baisse lentement. Corthir vient pour descendre de la scène miniature du centre sur la grande scène, mais il vacille, sa lance tombe près du corps de Lovico, et il s'écroule. Ivan se dresse, affolé.)

Ivan — Corthir! Lovico! Lovico est mort. Lovico! Corthir, ne meurs pas!

(Il se penche sur Corthir et lui prend la main. Ses yeux s'emplissent de larmes.)

Ivan — Corthir, mon vieux! mon vieux!

(Pour un seul instant la scène est plongée dans l'obscurité. On entend Ivan qui dit: « Mon vieux, mon vieux ». Quand les objets redeviennent visibles, on s'aperçoit qu'un objet est à chaque endroit où il y avait un objet, mais certains de ces objets ont changé. Ivan est toujours au même endroit, dans son habit d'explorateur, avec ses bagages sur le dos, et qui pleure. Mais Corthir n'est plus là, c'est Blège qui est à sa place et dont Ivan tient la main. Lovico est à sa même place, étendu par terre, mais il a ses habits d'explorateur. La lance est près de lui. Le haut mur beige est revenu au lieu du sable, et le corps du gragon est le buffet du début. Les bagages de Lovico sont maintenant la chaise, renversée. Blanugra surgit sur la scène miniature du centre.)

Blanugra — Assassin.

Ivan — Quoi?

Blanugra — Entreant commissarius et duo gendarmi.

(D'un même coup, comme poussés par un ressort, un commissaire et deux gendarmes passent la tête au-dessus du toit de chacune des scène miniatures, le commissaire derrière celle du centre.)

Le commissaire — On a commis un crime?

Blanugra — Un crime monstrueux.

(Un coup de sifflet provient de la figure du commissaire. Le commissaire et les deux gendarmes escaladent le toit de leur scène miniature respective et sautent en bas, sur la grande scène. La figure du commissaire est uniquement une barbiche qui part des cheveux et qui va presque jusqu'aux seins; sur cette barbiche est posé un lorgnon. La tête des gendarmes est comme un bloc de bois où leurs traits sont tracés de façon rudimentaire, d'un coup de pouce hâtif: une barre rouge pour les sourcils, deux points pour les yeux, un angle droit pour le nez, un trait bleu pour la bouche, un arc pour chaque oreille.)

Blanugra — Crime passionnel.

Le commissaire — Bien, bien.

(Le commissaire et les gendarmes encerclent Ivan.)

Ivan — Qu'est tout cela?

Blanugra — Assassin.

Ivan — Ce vieillard rancunier est fou.

Le commissaire — À qui sont ces cadavres?

Ivan — Ils ne sont pas à moi. Ils sont à eux-mêmes.

Le commissaire — Pourquoi toi les avoir tués?

Blanugra — Pourquoi?

Ivan — Je ne les ai pas tués. Ce sont Corthir et Lovico. Le dragon les a tués.

(Il désigne le buffet.)

Le commissaire — Quel dragon? Ne te moquer pas de moi. Celui-ci est Lovico mais celui-ci n'est pas Corthir.

Blanugra — Assassin.

Ivan — C'est Blège. Je ne comprend pas.

Blanugra — Et le dragon?

Ivan — C'est le buffet.

Le commissaire — À qui la lance?

Ivan — À Corthir.

Le commissaire — Ne te moquer pas de moi.

Blanugra — La lance n'appartenir pas à Ivan, moi l'avouer.

Le commissaire — À qui?

Ivan — À Corthir.

Blanugra — Ou à Lovico.

Le commissaire — Tout clair. Lovico venir avec la lance.

Blanugra — Lovico avoir déjà été l'amant de ma fille.

Ivan — C'est clair.

Blanugra — Ivan le savoir. Ivan avouer son crime. Ivan, est-ce que toi savoir Lovico avoir été l'amant de ta femme avant lui pénétrer dans cette maison?

Ivan — Dans cette maison? Non. Je n'avais jamais vu Lovico avant qu'il pénètre dans cette maison.

Blanugra — Ivan avouer son crime. Lovico lui apprendre son amour, Ivan tuer Lovico. Ivan ne pas le savoir avant.

Le commissaire — Jalousie. Crime passionnel. Tout clair.

Ivan — Je n'ai tué personne. Le mystère s'acharne sur moi. Je renonce à vous faire comprendre.

Le commissaire — Lovico avoir lance pour attaquer. Ivan plaider légitime défense?

(Ivan se tait.)

Blanugra — Ivan se taire. Lui coupable.

Le commissaire — Tout clair. Ivan tuer Lovico avec la chaise. Coup sur la tête. Puis étrangler Blège: convulsion sur la face d'elle le prouver.

Blanugra — Assassin.

Le commissaire — Mais Ivan pleurer sur le cadavre de Blège.

Blanugra — Remords.

Le commissaire — Exact.

Blanugra — Personne n'entrer ici après Lovico, ma fille avoir été en vie.

Le commissaire — Ivan seul suspect. Ivan coupable.

(À ce moment, Ivan l'Invulnérable le premier intervient.)

Ivan le premier — Ivan, réponds-leur.

(Ivan le second se tait.)

Le commissaire — Ivan ordinairement jaloux?

Blanugra — Lui avoir dit: « J'adore Blège ».

Ivan le second — Je l'ai dit mais je ne le pensais pas.

Blanugra — Toi nier l'avoir dit?

Ivan le second — Je ne le nie pas.

Le commissaire — Rien ne demeure obscur alors. Procédons.

(Ivan le premier se lève.)

Ivan le premier — Cet homme est innocent.

(Tous se retournent instinctivement vers la voix. Ivan le second se sauve sur la planche qui part de la grande scène et surmonte la salle. Les deux gendarmes et le commissaire courent à sa suite. Ivan le second, rendu au bout de la planche, se retourne et leur fait face. Le commissaire lui donne un coup de poing à la figure. Ivan le second tombe en bas de la planche dans l'allée centrale de la salle et y demeure immobile face contre terre.)

Le commissaire — Où lui être passé?

(Il désigne Ivan le premier.)

Le commissaire — Le voilà.

(Il fait signe vers le haut. Un câble terminé par un noeud coulant en descend. La seconde extrémité du câble demeure invisible.)

Le commissaire — Nous être d'accord?

Blanugra — Justice s'accomplir.

Les deux gendarmes — Le peuple être d'accord.

Ivan le premier — L'immensité du mystère fourrer la Justice.

(Le commissaire attache ensemble le bras droit et le pied droit de Ivan le premier ainsi que le bras gauche et son pied gauche, au moyen de ressorts.)

Le commissaire — La permission être accordée au coupable de mourir les bras en croix.

(Ivan le premier étirant les ressorts étend swes bras en croix. Le commissaire attache le noeud coulant autour du cou de Ivan le premier.)

Le commissaire — Pour le pendre allons tirer sur l'autre bout du câble.

(Le commissaire soulève une trappe dans le plancher et il y pénètre suivi des deux gendarmes et de Blanugra. La trappe est refermée.)

Ivan le premier — Le mystère m'appâter. Moi m'en remettre au mystère.

(Le câble, tiré, remonte vers le haut d'un mouvement continu; ainsi Ivan le premier est levé de terre: il demeure immobilisé dans l'espace, pendu. Le cadavre de Lovico se lève et descend dans l'allée de la salle où Ivan le second est étendu. Il prend Ivan le second dans ses bras, le ramène sur la scène; il le met debout puis il va reprendre sa place habituelle de cadavre. Le cadavre de Lovico s'étant immobilisé, Ivan le second bouge. Ivan le second touche aux pieds de Ivan le premier, puis il monte sur la scène miniature du centre, ouvre les portes du buffet, en tire le cadavre du dragon qu'il traîne sur la grande scène; il transporte la sphère terrestre en bas et un peu en avant du lieu où Ivan le premier est pendu. Ivan le second hisse le cadavre du dragon, ce qui le porte à une hauteur suffisante pour qu'il soit au niveau de Ivan le premier. Puis Ivan le second, possédant une efface dans sa main, se met à effacer Ivan le premier de la tête aux pieds. L'efface disparaît progressivement en même temps que le corps de Ivan le premier. Le corps de Ivan le premier disparaît mais non pas les ressort ou le noeud coulant. Quand Ivan le premier a complètement disparu, Ivan le second le remplace, mettant ses pieds et ses mains dans les ressorts et son cou dans le noeud coulant. Le câble continue de monter, élevant davantage Ivan le second, les bras en croix. Les trois scènes miniatures sont soulevées de terre et entraînées à sa suite, ainsi que le cadavre du dragon. Le câble redevient immobile. Ivan le second, pendu, et les autres objets restent suspendus dans les airs. Le plancher de la scène est complètement nu, sauf les cadavres de Blège et de Lovico. L'éclairage redevient intense sur Ivan le second. D'un trou qui se perce haut dans le fond sort un nuage au milieu duquel est une espèce de harpe en bois aux contours inconnus, bizarrement ovalaires. Le nuage reste passablement au fond, haut, plus haut et plus au fond que Ivan le second. Du nuage sortent un homme, une femme et un enfant, qui sont sans visage; au lieu de leur nez, de leurs yeux, de leur bouche, de leur menton, est une surface lisse. Ils se mettent à chanter. La sphère roule sur elle-même pendant ce temps.)
(L'homme se met à chanter très doucement.)

L'homme — Améhal Améhal Améhal
A-A-A Gromubil
Zéhiti-i-i-i-ir
Hi-i-ir Hi-i-ir
Matatête aucharme alokan des herbes kéon nimo
Afrizinir Afrizinir
Le baume tornion gué
Jaccoure Jaccoure
ô nul
Nul Ethérimaza
Pia Pia-a-a
Jentrai à l'ouble
Où frégate culisson à l'air aimé
Aux dinas trajeu et moir à la tombe du rézimer Ils sattent ils mattent
ô mot fougu
Figou Fagui Figrôton
Ami Ami-i-i
Ramasse la tringue annibal mersan sur le point de regendibaler sur la pinte couverte
A l'oubli des mertes
Oulettes
A l'ankin épirdou amer
Her her her her her her

L'homme et la femme (duo) — Ils procurent salaison
Ah muguet-là
Respond à mi coulan
Bonneur Bonneur A-i-ou-hah
Dusse Dusse
Pour un matin
De pourboire
Ci-i-i-i-ilénaire
Apporte donc ma ritourniè-è-è-è-è-è-è-è-è-è-è-èle
Embrase l'imponde qui moule déjà au creux d'imbouze la bougeante
louzède carrée
Amonte Amonte à l'ardenne de l'aube crépitante aux pieds du soir prostré
Dans la nuit close et recueillie
Inhère aux pans d'ouki annjerhamoi
Petit enfant célane
O tu-i u-u-u-u-i-i
tu-u-u-u.

L'enfant — Mamèrimarco
Au sol bénéfactor
Poujira l'andéa canihamahala
O perbe prémerbe sanderbe
Cali doila ô Préador chargé d'épingle de diamants qui musque l'ô-ô-di-acrive
Vrite-le-maga O Pélène chargé de majesté scintillante
Coulervé dans le soleil
Aplati dans la chaleur sans ride
Blanc dans le ciel immaculé

La femme — Soutinte
aux aberges conductrices
Séloni ahinze pi-i-i-i-i-tô-ô-go
Marchand de rêve propret
Convulsé automne désintégré dans le temps
Hopsila-si-i-i-la-a-a-a-a-a
Hopsila Hopsila Hopsila
Chégabonde Babonde Boundo
La tresse vérihité est sointe aux cabouris flétons chigo acrabandar au tunnel pétri achalmiadar-a-a-ar-ar-ar.

L'homme et la femme (duo) — Souco lamplinte
Souco lamplinte
Miarzar vzégué tédel cabrionte
Pou-ou-ou-ou-ou-ou-ou-outte
Poudrace kémalace à l'outrance mébalace frégator
Atohr Alibobor Frégamace cilastace protégeons-nous contre lapiace
cédanmou Matointoin gémarèce
Alligogor Alligogor Alligogor chez toi
Miton clon clon
Patz fédjon

L'homme — La route d'herbes au haut des escaliers
Marches de crême
Support de gaine
A l'Epi A l'Epi chédor cher Darmitor
Soutiens-nous Soutenons-nous Soutenons-le
Echelle farcie
Dans le temps embrumé empruné englaisé
Par la barbe des femmes désossées
Sé Sé
Apihidon-miel
El-el
è-è-è
Soutte Soutte jribol
Mataxas
Eté-o-téo-ô
Protège Aglice
Souton les baclèves antinionsoglize
Zôco-o
Malon mermolon antridave sur les polon des chevelus joufflus
Aléorde
Des chevaliers congrus
Des acélontes accrues
Técruze
U-u-u-u Ballondon
Mitzk

L'enfantE-é-é-é-é-é-é-é-é-é-é-radine

L'homme et la femme (duo)
Protêce ankinar baujoi
Améhal Améhal
L'auberproton solussive agazif au milion ramott telezrave
Gamute pu-u-u-utt
Sang de codon parboude de coluchon grondon ému
Patronize l'enquête géadouard au suc mutène
Pa-a-a-att-att-att
Gromulon mulon mulon ton
Séhed samurize jurnal bennel trod
Lôdasse

(Aux dernières notes du chant, tout s'est élevé et a disparu en haut, Ivan le second, le nuage, les trois scènes miniatures, le cadavre du dragon, la sphère terrestre, laissant seuls en scène, sur le plancher, le cadavre de Lovico et le cadavre de Blège.)


Rideau

lundi 18 février 2008

Instinct semi-palpé

(Des estrades comblées, une salle bondée. À une grande assemblée politique un illustre tribun populaire se lève pour parler. Son front s'emplit de sueur et ses yeux chavirent un moment dans une grande émotion; puis son sourcil se fronce et son front se plisse. Puis ses traits se détendent, et dans une passion frémissante, dans une inspiration soudaine inconnue, il parle.)

L'orateur — Nos peuples ont salué le safran assis sur une rize à côté d'une rize.
Les boulevards ont marché en zones synthétiques crachant les baigneuses ensoleillées comme une offrande stoïque.
Pas à pas et livre à livre l'étroit respir s'est anémié étreint d'un châle verdâtre.
Peuples en un je marche.
J'attends la clé verdâtre.
J'attends l'amulette qui prie.
À côté des murs olympiens et ravinés où le mendiant roux et la charité d'églantine baignent dans la tristesse splendide, le vide vitreux longe l'insoupçonné.
Le peuple en caravane sent l'entrecroisement voisin, le trépignement muet, vertical et monotone.
Le saut comme une bouche qui bâille.
À côté il longe.
À côté le mythe d'une ouate assourdie écarte gentement, éclipse d'une oscillation feutrée et immobile l'ondulation perceptible.
Tandis que la morne rigidité mange l'apôtre sans idiome perçu, les dents des peuples montrent leur blancheur altérée.
Les peuples aux aguets sentent leur compagnon invisible et dans la longitude l'impatience, la pressante tigrerie qui s'effile.
O le calme mouvement et la chair immatérielle frôlée.
Et l'alchimie verdâtre pour nouer dans le sucre hermaphrodite le baiser aigre de délivrance.
Peuples en un je rêve.
Mon errement aérien furette opiniâtrement la science de l'alliance. La magie des mondes morts qui se résignent aux mondes vivants.
La science et le climat de l'interchange.
J'accompagne le silence et la nuit et sur l'oreille de mon compagnon furtif ma lèvre paralysée emprisonne les mots de conviction.
La pesée de l'alliage fondu double trébuche perturbée.
Je côtoie l'amour.
Nullement nullement.
Nullement l'amour n'attend ma chaleur et ma complétion. L'enchevêtrement des obstacles en globe incarne se taire.
Le peuple grince et sue de la vapeur comme une poulie.


Rideau

dimanche 17 février 2008

Le gigot creator

(L'atmosphère synthétisée d'une guinguette qui serait à la fois un tripot. Etkip, représenté par une jarretière, une brassière et trois poils, parle avec Klebbo, représenté par une casquette à carreaux, une pipe, un testicule et un lacet d'espadrille. Le mur est une illusion d'optique obtenue par l'éclairage. Au mur une abstraction est accrochée entre un vagin et un goulot de bouteille duquel pend une goutte de vin rouge. On suppose qu'un accordéon invisible joue immatériellement.)

Etkip Ramouluche le tuyau de pipe et viens peler la pomme. Les coquelicots de vierge me jouent à l'ascenseur dans le métro.

Klebbo
Taquédec! Les poumons du saucisson ne veulent pas prendre l'air; c'est que le dirigeable a déjà vidé son bidon dans le jardin de la papesse ce matin.

Etkip et Klebbo (en duo chanté)

Les saucissons ne veulent pas prendre l'air.
Les carottes sont échinées.
Les choux-fleurs ont mal aux dents.
Les blés de nonnes sont hydropiques.
O Salamigos!
Les pieds-de-nez prennent de la morphine.
Les zababs doivent de la coca.
Le père de la garde montre son derrière.
Le tuyau est ébréché.
O Salamigos.

(Le testicule tressaille joyeusement et les trois poils se contractent avec humour.)

Etkip — Le bateau dans la rivière est secoué par l'ouragan. Amène ta bouée.

Klebbo La rouge ou la noire?

Etkip — La rouge et noire.

Klebbo Si le bédangue câlice dans le feu d'artifice, les bottes de brigitte vont acroubatiller dans le zébrin de l'arc-en-ciel.

La pipe (fumant) — Le pont du pinard va sacrer si je ne dors pas.

Klebbo (à la pipe) — Barre ta tôle, Nez-d'anguille, c'est moi qui télé aujourd'hui.

Etkip — Acoule, Klebbo, tu n'es béné pas consentant à ce qu'on désinfecte la télépathie?

Klebbo — Télé-maque jusqu'à mardi gras; où est-ce qu'on va piger l'huile de ricin pour fessier jusque là?

Etkip — Huile ton briquet, Klebbo, mon pépère est pompier.

Klebbo — Il rouspille, le veau, il faut que je lui donne un coup de pouce pour lui faire tirer la langue.

Etkip — Télescope les pivoine, engine les marguerites, la procession des bons pâtissiers dure juste le temps des coups d'encensoir. Quand il n'y a plus d'encens, il n'y a plus d'encensoir; et quand il n'y a plus d'encensoir, il n'y a plus de procession.

Klebbo
— Yes, les badauds se rétrécissent.

Etkip — Ils se refoulent, les fanaux de dames.

Klebbo — Donne-lui toute la réglisse du restaurant, ma pépé, tords le torchon que ça dégoutte un peu. Avant de couper le jambon, il faut affiler son couteau.

Etkip — Le tranche-noix est tuberculeux: veux-tu que je te donne un coup de main.

Klebbo — Un coup de pouce, si tu veux, chéchène.

Etkip — Je vais te donner un coup de dent.

(Les trois poils font: « Oh! »; le testicule fait: « Ah!»)

Klebbo — Coulante la snac, tu m'étrangles avec ton lasso.

Etkip — Ta, ce n'est pas avec une ficelle qu'on chippe un buffle par le cou pour le convoyer dans une cage.

Klebbo — Peut-être, Cadou, peut-être, mais si tu trais tout èa coups de peigne, il ne restera plus de mélasse pour le dessert.

Etkip — De quoi que tu jaspines, il n'y a rien qui est sorti encore.

Klebbo — Non, mais la locomotive est à la veille de rentrer dans la gare comme une ourag de la préhisse.

Etkip — Bien alors, il est temps de parquer ton convoi.

Klebbo — Ouvre les écluses, Tétine, la mouillée galope.

(La brassière devient soudain fripée et la casquette se fane.)

Etkip — Ne mets pas les freins, Klebbo, les pipots sont solides.

Klebbo — Gare aux arsenals, je me cogne sur tes pointus.

Etkip — Ne chiâle pas pour rien, le sillon est frais.

(La pipe s'éteint. La jarretière claque. Le lacet s'assoupit.)

Klebbo — Tout cuit pour le hareng saur?

Etkip — Bise-moi le caraco.

(Le vagin se voile la face.)


Rideau