samedi 19 janvier 2008

La jeune fille et la lune

(Le fond de l'eau. Entre deux eaux flotte la jeune fille noyée. En haut, à travers l'eau, le ciel est visible. Les nuages s'y entassent; seul un très petit rayon de lune trouve passage à travers les nuages et se reflète jusqu'au fond de l'eau.)

La jeune fille — Les phares de la ville jouent des hymnes joyeux par rafales dans mes cheveux, l'angoisse pénètre sa lame de poignard lente dans les chairs, le brouhaha danse un quadrille sur le trottoir semé de bas de soie et la noyée flotte dans ses souvenirs.
L'eau est verte. J'ai soif.
Les mémères dandinent leurs derrières dans la promiscuité des boudins et la rue hurle sa plainte et son indifférence.
Taxi! dis-je. Et l'eau brune tournoie dans mes oreilles.
La ville avec ses voiles de fer ondoie dans son vertige, et les cœurs ballottés dans le creux de son rythme se réchauffent aux caresses du vide.
L'eau boit, l'eau mange, et je tiens mon œil clos dans son intestin.
Les cloches crachent à l'intersection des ruelles à sens unique, et les bébés effeurent mes jambes en traînant leurs derrières dans les charbons.
La ville de diamants frissonne et vomit la chair trop lourde et entassée et l'eau rampe jusqu'aux rebords des robes indécises.
Et la circulation se débloque, et les agents de police à la casquette bien reluisante dessinent des fleurs dans l'air avec leurs doigts, et les demoiselles émues s'acheminent au port.
Des sèves opiniâtres ont garni les arbres tristes des trottoirs, et les greniers tumultueux ont soupiré aux sons saccadés de ces pas jeunes.
La rivière étend son corps de dame riche habillée en Orient, et la ville trapue y reflète son amour.
La ville dépose son nouveau bijou sur la gorge de la rivière, un bijou de chair.
L'amante tressaille, et la chair s'installe muettement dans un sillon irisé de ses multiples seins.
L'eau silencieuse me parle en cadence.
Les poils de l'aurore ont scintillé en diamants, le vidangeur a balancé en arc le ding dong de sa musique, la fleur absente a promené le parfum de son fantôme sur la silhouette des cabanes modernes, et le flot par destin a entraîné sa charge.
Les genoux verts se sont montrés par-dessus l'herbe et les maringouins ont regardé à l'intérieur des pantalons. Le rivage n'a reçu du drap d'eau que l'apparence du silence et la paix s'est crue victorieuse.
Le carroussel a mené par les sentiers de ciment son désœuvrement. Les grasses filles se maquillent rythmiquement, et l'eau verte a dilué leur sueur. La ville a avoué sa vie dans ses craquements et l'eau hypocrite a avoué un masque de beurre.
Le soleil éblouit les fronts des demoiselles émues échappées à la lourdeur des caves.
Holà! Holà! Les rats du quai jeûnent!
La rivière a fait flac et puis s'est rabrillé de son bras gauche.
Le corps de la ville a sué à pleins pores frénétiquement les phares voraces de ses tourbillons, mais la foule gluante a répondu par le désert.
Hon! hon! a fait la pie de l'usine.
Les gars en casquette ont créé de grandes ombres fantastiques en maniant les bras d'acier, mais la rivière taciturne avait rétabli sa peau bleue sur son sang noir.
La ville élevait en cap sa masse bossue et les paupières baissées de la noyée voyaient à travers la brume verte l'attouchement de sa froideur
Verte! L'eau est verte, dit la noyée, et mon nez ne veut pas saigner.
Le corset charnu s'ébat non loin de la vapeur de l'engin; la rivière cèle toujours sa prise.
Le parc public surchargé d'allongements pâlis a dit merci quand les gratte-ciel ont penché leurs fronts qui s'ennuient. Mais cela n'adoucit pas mon néant.
Des flots de liqueur ont déferlé sur le pavé brûlant, mais la tendresse couverte de plumes rouges est morte de soif.
Des carcasses, dans leur mollesse horizontale, ont dit que l'eau grise n'a pas rassasié.
Le cri du marché de poissons me parvient ficelé et la vie par blocs assourdis.
Je vois la procession des ponts au bout des herbes marines qui lancent au lasso leurs trémolos et tout à l'heure le coq s'est tordu dans un caillot de sang.
Des jambes sans corps ont étiré leur blancheur embrumée au temps de la danse au trombone du soleil.
L'eau me fait penser à la farine.
Pfiuu! Les sifflets des enfants ont fait silence et les talons haut des ménagères bouffies.
Chut!
La poulie du paquebot cille.
Non.
Oui.
Non.
Chut!
Quoi?
Non.
Un moteur à pétrole est brassé dans son ventre.
Pourtant non.
Chut!
Non.
Je n'aurai plus mal aux dents.
Mais qu'est-ce donc qui me chatouille?
Les lianes charnelles agonisent dans les vapeurs de chaux de la vie.
Exclamation! Exclamation! je perds ta trace.
Hep! Hep! Torture dans l'anéantissement!
Pourquoi voulez-vous que je revive?
Étincelles dans les gouffres inarticulés, pourquoi venez-vous me faire tressaillir dans mon silence comme le cuisinier qui pique la saucisse avec les deux dents de sa fourchette?
Des grappes de vie sans pitié ont infiltré leurs ventres ronds dans la pesanteur de mon repos et je sens sur ma chair à côté des veines glacées les reflets bleus de leur chatouillement sucré.
Mais quoi? Mais quoi?
On me réveille par la torture.
Je dors. Je dors. Je veux dormir.
Le vomissement de la ville s'est englouti dans la débâcle marine et il n'y a plus de vie.
Où est la vie?
Le chant des boutons d'or alanguis dans les parcs publics martèle mon oreille comme l'assaut des jambes tordues des nains mérovingiens et les soupirs encore me parviennent des amours incolores.
Encore il me semble que mes narines se dilatent au parfum de la lune et que ma joue trouve sa place sur le sable de son manteau de velours.
La lune.

L'écho — La lune!

La jeune fille — La lune.

L'écho — La lune!

La jeune fille — J'ai rêvé de la lune.
À travers mes bandeaux je voyais la lune.
Ma langue d'enfant a sucé le cornet jaune de la lune.
J'ai dansé avec les crapauds de mon imagination sur la flûte tendre de la lune aux bords des trottoirs de ciment.
Je me rappelle la lune et la lune me rappelle à la vie.
La vie a expiré dans l'extase de la lune et la lune a fracassé son jus pur sur les blocs de béton.

J'étais enfant et j'ai dit à la lune des paroles entremêlées de vase et de lumière comme un arc-en-ciel ensorcelé par un prisme et j'ai souvenir de vêtements trop étroits ou trop larges.
La lune avait plongé son doigt jusqu'au fond des égots et je l'ai vue creuser les odeurs âpres et baiser l'âme de la cité immortelle.
Je n'aurai plus de repos.

(La jeune fille commence à s'agiter et on dirait qu'elle veut tendre les mains vers le petit rayon de lune. Elle bouge par saccades comme un dormeur qui a un cauchemar. Ses yeux sont clos.)

Je veux dormir.
Les corps des noyés ont dit: Je dors, et ils ont suivi le courant comme des poissons géants.
Au coin d'une rue une fille arrange son bas et demeure un moment les yeux vagues dans les réflexions de sa cuisse. Pourquoi? Pourquoi la paix refuse-t-elle?
La procession des spasmes ne veut pas que je me repose.
Où allez-vous? Pourquoi cette éternelle procession qui est un lingot de feu dans la nuit?
Là ! Là! Vous consumez mon repos dans votre brasier!

(Elle tend les bras convulsivement dans la direction du rayon de lune.)

D'où vient ce tuyau de vie?
D'en haut, d'en haut, là, je ne sais pas!
C'est le serpent de Saturne qui a cessé de se mordre la queue! Ha! Ha!
Il est tombé dans l'eau!
Ma ville était innondée autrefois. Je me rappelle. Le ciel inondait ma ville autrefois. C'est là. C'est de là que ça vient.

(Elle essaie de soulever ses paupières et ne peut pas.)

Dans le ciel les astres chantent.
La laiterie céleste besogne toute la nuit et le liquide brillant coule de toutes ses parts dans le sommeil universel, flairé seulement des noyés. Et la plus grosse des mamelles s'épanouit au centre. C'est la lune.

L'écho — La lune!

(La jeune fille s'agite davantage et ses mains fouillent l'air comme un aveugle qui cherche quelque chose. Elle flotte toujours horizontalement.)

La jeune fille — Les rosiers ont une odeur et la lune un éclat.
Mon être vibre. Je suis un pépin de pomme au soleil.
Je suis un linge de vaisselle accroché à un clou au revers du vent.
La lune a laissé s'égoutter son lait dans ma fosse.
Je le sais.
Je sens l'éclat de la lune sur mon ventre.
La lune a pourfendu le flot de son épée d'argent.
Des gouttelettes de lumière collent à mes tempes.
Il y a un rayon de lune.
Le silence de l'eau dormante a-t-il une fenêtre ouverte?

(Elle agite davantage ses bras et elle commence à flotter dans la direction du petit rayon de lune.)

Le sommeil silencieux m'appelle et l'éclat de la lune m'appelle.
Je ne peux pas trouver ce rayon de kune!
L'éclat de la lune n'est pas assez fort pour dévisser l'urne de mes paupières. La palpitation de mon âme demeure enfouie dans l'Immobilité immuable.
Il suffirait pourtant de laisser choir tout le lait dans la plaine et les eaux.
Les tables des cabarets tournoient en éventail comme des cartes sur un tapis et puis le fourmillement à son tour s'éteint et la lune peinture l'obscurité en jaune.
Mon ventre endormi veut être peinturé en jaune et mes doigts engourdis et mes paupières mauves.
Les dents d'ivoire de la lune!

(À ce moment les nuages s'écartent et le petit rayon de lune devient une vaste illumination ayant la forme d'un manteau. La lune apparaît au centre resplendissante de lumière, vaste et épanouie.)

Mon cheveu dans les herbes dolentes tressaille.
La poudre de feu aboie dans mes veines.
Le démon aux cornes vertes gesticule une frénésie de tigre dans mon estomac.
Le courant marin me tient dans ses bras et l'éclat me tire avec sa perche.
Je suis un peu de crème qui coule du trou d'un pot.

(Elle flotte horizontalement dans la lumière de la lune puis elle flotte verticalement.)

Je pleure dans le doux manteau de velours.
Je vois du cinéma: mon enfance parade au pas de gymnastique.
J'entends les clairons et la foudre de l'âge.
La tour de la ville s'écroule avec fracas et les moribonds de la cité volent à pleins bras au-dessus des ruines en s'encourageant du craquement de leurs os.
Leurs visages n'ont plus de chair, j'en vois un, je me reconnais dans le miroir des os de son bassin.
Une faux ocre fauche sans maître par habitude.
Hoquetons en ch
œur, frères!
La rivière placide vieillit mon jet de lune, il tremble comme un vieillard.

(En flottant toujours, elle va en montant dans la lumière de la lune.)

Manteau émouvant, les hameçons cachés dans tes plis m'entraînent vers ton cœur et ta cervelle et je ne peux pas résister car je pleure.
Doux manteau, laisse-moi me réfugier dans ton éclat comme dans le flanc d'un chien.

(Elle frotte sa joue au rayon de lune comme s'il était de velours.)

Des cloches abîment le froid et le bariolent de mille teintes dans le rythme d'un cœur qui naît à la vie.
Rivière, nous sommes saoules!
O doux manteau!

(En s'agrippant amoureusement au rayon de lune elle monte jusqu'à la lune. Elle prend la lune dans ses bras.)

La vie! La vie!


Rideau


lundi 14 janvier 2008

Les reflets de la nuit

(Des arbres dans la nuit. Un ciel avec de grosses étoiles. Brumeux. Des éclairages violents et variés seront employés subitement pour mettre en relief les acteurs.)
(Deux arbres s'inclinent avec effort comme attirés l'un vers l'autre. Leurs faîtes se touchent formant une arche. Par cette arche entre un personnage gigantesque l'air plutôt épouvantable qui doit absolument être maquillé violemment avec du rouge, du vert, du bleu, du blanc, surtout du noir; ses yeux sont immenses. Il a une cape sombre qui n'en finit plus et un chapeau de vilain de mélodrame. Il est nommé l'introducteur.)

L'introducteur — Frédéric Chir de Houppelande est le plus grand des poète.
Ses paroles comme des feuilles de thé au fond de la mer languissent, il est le frère du hibou et sa voix est sœur du hibou, son rythme repose dans l'huile et s'y tord et induit les cerveaux des jeunes filles de la brume verte, sa main pantelante est le spectre des nuits coagulées, Frédéric Chir de Houppelande sort de l'eau tout ruisselant et se promène sur le sable inondé d'ombre et heurte son front aux guêtres du chêne et la jeune fille piaule voluptueusement dans le désert blanc. Frédéric Chir de Houppelande est le plus grand des poètes et sa voix alourdit les cœurs de lianes rousses. Chir de Houppelande c'est moi.

(La jeune fille Corvelle bondit d'entre deux arbres en sautant sur les mains et en exécutant une pirouette.)
(L'introducteur bondit sur elle et l'empoignant aux épaules il la plie en deux et approche sa tête tout près de la sienne. Sa face est féroce.)

L'introducteur — Je voudrais porter à mes lèvres une larme de la nuit qui m'hallucine. Je suis halluciné, et je hurle et je hurle et les crépitements des mirages ne me répondent pas.

Corvelle — O Frédéric Chir de Houppelande, où es-tu? j'ai nagé en toi dans les remous du chant. Le filet de la lune est une ceinture qui m'unit à toi par les hanches. Deux chiens trînant un lourd ballon m'ont amené ici. J'ai rencontré un sillon ténébreux dans la nuit, un rêve incolore qui plie mon corps en deux. Frédéric Chir de Houppelande, je suis à toi, ton haleine est venue jusqu'à moi frôler de vapeurs tièdes mon corps. Je suis à toi, qui me dira où te trouver dans la virginité de la forêt?

L'introducteur — J'oserai rentrer dans les murailles des ténèbres à l'observation de cette jeune fille qui parle de Frédéric Chir de Houppelande. Mes ongles ont parfumé son cœur.

(Corvelle se roule par terre en riant.)

Corvelle — L'herbe sent mon corps et ainsi j'ai connu Frédéric Chir de Houppelande dans le réflecteur strident et blanchâtre de la pensée. La lune baisera mon ventre et la réponse coulera du pis pressé de l'étoile. L'univers en rut me murmure dans ses frémissements des paroles bien-aimées de Frédéric Chir de Houppelande.

(Un câble lancé des coulisses harponne une étoile; à l'autre extrémité du câble est une ancre de navire sur laquelle est assis Hurbur qui se balance ainsi dans l'espace, accroché à l'étoile.)

Corvelle — Un jeune homme se balance dans le lait immobile des étoiles. Je me suis donné rendez-vous dans la forêt, et j'écouterai la voix du poète Frédéric Chir de Houppelande.

(Pendant ce temps, l'introducteur ayant saisi sa cape dans sa main gauche en guise de semoir passant devant chacun des arbres de la forêt a fait le geste du semeur et les arbres à mesure qu'il les ensemence imaginairement s'illuminent de rouge comme s'il semait sur eux la couleur rouge.)

Les voix de la forêt (venant des arbres illuminés de rouge) — Je chante la voix de Frédéric Chir de Houppelande qui a dit: « Je berce la jeune fille comme le lac berce le ciel ».

Corvelle — Je veux être les copeaux de cette voix du poète.

Les voix de la forêt — Jeune fille, ne sens-tu rien?

Corvelle — Quel est le jeune homme qui tranche et retranche la forêt comme un balancier d'horloge?

Les voix de la forêt — Il est un nouveau Frédéric Chir de Houppelande.

(Le rouge disparait des arbres.)

Corvelle (les mains jointes, s'approchant de Hurbur qui se balance toujours flegmatique) — Est-il vrai que de l'ineffable Frédéric Chir de Houppelande tu as glané un reflet? Si c'est vrai, tu m'es infiniment cher. Prends-moi dans ton dos, nouveau Frédéric Chir de Houppelande, fais de moi deux ailes qui te porteront au ciel, ente-moi au reflet de mon immortel idéal. Qui es-tu? Mais réponds-moi.

(Il ne répond pas. Elle danse devant lui.)

Corvelle — Qui es-tu?

Hurbur — Je suis Hurbur, le danseur.

Corvelle — Hurbur et Corvelle.

(Tremblant comme un spasme, l'introducteur porte ses mains à sa gorge, il fouille fébrilement puis d'un geste saccadé il entrouvre sa cape sur sa poitrine; de sa poitrine sort un rayon de couleur jaune qui monte vers les étoiles.)

Hurbur — Je n'ai pas besoin de tes ailes, toutes les passerelles aux étoiles me sont soumises, mais tu peux venir avec moi. Je travaille, je travaille sans cesse.

(Il saute en bas de son ancre.)

Corvelle
— La nuit s'étire comme un léopard, Hurbur, j'ai pris racine à ton flanc. Éternellement en moi cliquettent les échos de Frédéric Chir de Houppelande.

(Elle est éclairée de vert.)

Hurbur — Je mordrai en ta chair comme un soleil en délire. Viens dans ma niche. Suis-moi.

(Côte à côte Hurbur et Corvelle montent dans le ciel comme s'ils avaient un escalier ou une échelle. Rendu à la hauteur des étoiles, Hurbur s'arrête.)

Hurbur
— J'ai soif.

(Il décroche une étoile et la porte à ses lèvres. Pendant qu'il boit, un nuage passe et cache les étoiles, Hurbur et Corvelle.)
(Tranquillement, religieusement, l'introducteur se couche par terre sur le ventre la face au sol ses bras tendus se croisant, en avant de sa tête. On entend Corvelle qui pousse un gémissement, elle fait: « Ah! » comme une personne qui s'endort.)
(Le nuage disparaît et l'on voit Hurbur au même endroit tenant à bout de bras au-dessus de sa tête le corps roide et ensanglanté de Corvelle. La tenant toujours au-dessus de sa tête, il descend lentement jusqu'au plancher et il dépose le corps inerte par terre. En même temps le soleil commence à éclairer la forêt. Hurbur hume l'air à droite et à gauche.)

Hurbur — La nuit prend fin.


Rideau

samedi 12 janvier 2008

Le carrefour des chats qui deviennent hommes

(Nous sommes au carrefour des chats qui deviennent hommes. Un chat attaché est brûlé par Geaifrier.)

Geaifrier — Mornement je te brûle, chat.

Lodoque — Il est fatal que la sauvagerie crève de contrainte et devienne le jet d'eau sucré du parc national.

Geaifrier — Le phoque le dit.

Lodoque — L'habeas corpus le dit.

Geaifrier — Le schnock le dit.

Lodoque — Éperdument moderne, le fourreau dégainé à la main, l'ampleur adroite épile le dos du cave.

Geaifrier — Au scandale! La rumeur trébuche et se volatilise.

Lodoque — Paix. Quiet.

Geaifrier — Je souffre.

Lodoque — L'Oxford bonnet dissèque en fédora Joli tambour égosillé.

Geaifrier — Au scandale! Au scandale! Au scandale! Au scandale! Au scandale! Au scandale! Au scandale!

Lodoque — Fille, que tiens-tu dans tes culottes? que tords-tu dans tes culottes? Ah! la graine!

Geaifrier — Oh crie, oh crie, crie vers la muraille démarcale la marquise disséminée de bois blanc, crie, oh crie, oh crie, et tais-toi.

Lodoque — Le shah dessert le chat.

Le chat — Je souffre.

Geaifrier — Fauvette végétale, à quand le rendez-vous discret, la douce augure frimale où ta fragilité et mon empressement se puissent fondre en un duo floréal, te crever les yeux.

Lodoque — Les cerceaux visitent ton cerveau, et le mien leur barre la portière.

Geaifrier — Preuve que nous sommes conscients.

Lodoque — Absalon.

Geaifrier — Salom.

L'horloge — Abolition!

Lodoque — Au vote!

Geaifrier — La fondation du tracteur grince. Chenille sur les marais. Ce coin de satin noir ne suffira pas à cacher la bouche de votre aisne vestimentaire!

Lodoque — Nous sommes deux et il vous faut une majorité pour gagner, je suis contre vous.

Geaifrier — Madame, je peur l'appétit.

Lodoque — À vos pieds, sénorine, mais le devoir redresse les apôtres fléchis.

Geaifrier — Le constable ne devrait pas faire des grimaces à la fille de table avec sa verge enflée qui a les oreillons.

Voix de femme — J'ai beurre.

Geaifrier — Crouac! Crouac! Soutenons les cuisses poilues et abolissons l'ardoise de guêtre. Il fuit, il fuit! le fils de Socrate, il donne la main à son ombre le long du canal. Le long du canal, il tâte son ombre, le long du canal ils étaient un, ils sont devenus deux.

Lodoque — Le brouet pour les danses catalanes! il nous faut les nombrils trémoussants, il nous faut la polka des nombrils réglée par la température des viscères.

Geaifrier — Ainsi soit-il. Il nous faut l'orgue et l'odéon des vertèbres.

Lodoque — Et la matrice inspirée du lavabo épinglé.

Le chat — Je souffre.

Geaifrier — Liszt ne sera pas, Liszt ne sera plus. Cours chez la boulangère et mêle malicieusement le saucisson au pain. La bonne dame t'offrira merci et le fer lessivé de son cheval.

Lodoque — Ram! Ram!

Geaifrier — Approche ton dos, approche les gâteaux blonds de tes fesses!

Lodoque — Lolita!

Le chat — Je souffre.

Geaifrier — Au scandale! Au scandale! Pourtant la tâche nous ramène à la solennité.

Lodoque — Il est d'usage de tuer en haut-de-forme.

Geaifrier — Redevenons graves comme des bouffons, il n'est plus séant que nous soyons gais lurons comme des croque-morts.

Lodoque — Tatouons le front de la femme par distraction.

Geaifrier — Pirates, pirates, attention, et vous aussi, mercenaires. Picasso ne sera plus Picasso, il sera la boule de cuivre au terme de mon escalier à ma porte. Des réjouissances seront organisées, la femme dodue laissera voir dans son corset pour cinq sous, la boule de cuivre me sourira dussé-je baisser la tête de honte.

Lodoque — Yes, pal.

Geaifrier — Passe-moi l'aspirateur d'air frais. L'esprit de finesse étouffe.

Lodoque — En haut, les fronts, en haut vers la spirale d'or bleu. Mais ils retombent dans la pâte comme des goitres évadés.

Geaifrier — Pipine l'a dit.

Lodoque — Laissez mourir ce dieu qui vous a tant aimés. Il faut teindre en rose ces voiles qui vous ont tant léchés.

Geaifrier — Pipine l'a dit.

Lodoque — Au boulot!

Geaifrier — Les enfants qui ne sont plus des enfants doivent se couvrir de longues culottes. On ne tolérera pas que des petits pâtés de sable soient faits par des adultes. On ne le tolérera pas. On les conduira sous la guillotine des plumes. Des plumes de paon. Si vous songez à respirer, offrez d'abord votre révérence aux cuves de dinosaure. Dino, dino. C'est vrai, j'oubliais. N'oublie plus, frère.

Lodoque — Le rouage broie les sentinelles de paille. Pas les culs bien garnis. Pas l'hostellerie de la faune.

Geaifrier — Tu mourras. Que veux-tu? les lois fixées sont générales, du solennel nous passerons tous au triste.

Voix du facteur — Une lettre pour le chat écartelé!

Geaifrier — Ce n'est pas ici. Une lettre ne nous concerne pas. Pas de lettre!

Voix de mozo-amac — Pour être compris en quelle langue faut-il parler?

Geaifrier — En ustakan.

Lodoque — Pour la circonstance du solennel tous au triste.

(Le chat devenu homme demeure muet.)

Geaifrier — C'est égal, je récolterai l'envie du hoquet et la lassitude de la pénombre. Parle au bon Samaritain, ton hospitalier conseil.

Lodoque — Une farce!

Geaifrier — La manie de dire la vérité pour être cru!

Lodoque — Pif!

Geaifrier — Dis-le à Solon, dis-le à Solon, nous écoutons tous. Finies les croûtes de groseilles, et les pléiades de maricoco!

Lodoque — La fin recommence, la fin recommence.

Geaifrier — La fin recommence. La violence grouille, elle grimace de méchanceté ou de douleur, de méchanceté sans doute, elle progresse en rond, elle traîne lourdement, comme un coquin gras puni au bagne, son déplacement aigu nous fait grincer des dents, tous nous la trouvons hideuse.

Lodoque — Tous!

L'horloge — Résignation!

Tous les objets existants de la terre — Résignation!

(On devient conscient du défilé interminable d'hommes qui se suivent, tous semblables, indifférents et corrects, liés l'un à l'autre par une mince et délicate chaîne aux poignets.)
(On entre l'ancien Chat au hasard pamis la chaîne humaine.)

Geaifrier — C'est la vie! C'est la rançon de la sécurité.

Le bois du plancher sur lequel la chaîne humaine marche — Peut-être.


FIN