vendredi 21 décembre 2007

Bien-être


(L'intérieur d'une maison à la fois un peu austère et un peu fantastique dans ses proportions. À gauche, presque au centre, une porte close qui donne sur une autre pièce de la maison. Un homme et une femme habillés en mariés entrent. L'homme a des gants noirs.)

L'homme:
Des mains dans l'abîme qui sont des feuilles. C'est un mariage.
La coupe débordante d'amour sur le perron comme des algues.
Un ruisseau de nuages plonge dans les cœurs: martin-pêcheur.
Les guirlandes dans les joues, la paix sculptée dans les profils inquiets de l'existence.
Femme en sucre. Hébreu.
Hébraïque joie dans le convoi de l'orange symbolique.
Les ailes déployées dans les marbres conjugués.
Je vois les sillons, je remarque la plaie des racines. Le poète entré dans nos âmes par la serrure.
Les bourgeons grimacent dans le lac acidulé mais le frémissement de la dent turque surnage dans les catacombes ombrées. Supérieure vie! Délire d'acide! Les cônes parallèles déposés sur le cercle sphérique et la mousse d'écume comme le mercure, l'éponge ambrée.
Désir d'Apollon. Sources spontanées.
Les clefs du bonheur. Les clefs aux bonheurs.
Reflet souriant sur les seins d'acier de ma bien-aimée.
Je sens le repentir crispé de la solitude. Voix claires, soupières aux parfums mauves. Idéal! Idée. Idéal. Pure ardeur.

La femme:
Mon ventre berceau de la vie et l'urne consacrée.
Les sphères affiliées dans le cambrement de l'automne vieillie. La poudre des baisers dans les fossés humides des jardins blancs. Versicolore hystérie.
La sublime fraction des boucles arméniennes dorées.
Entrée et cortilège d'enfants.
Farandole arbitraire dans les sentiers de briques jaunes.

(L'homme et la femme s'assoient sur un sofa en s'embrassant tendrement. Les lumières disparaissent. Seulement réapparaît, après un moment, un filet de lumière blanchâtre qui ne permet pas de distinguer le fond de la scène. Cela peut donner l'impression d'être entre ciel et terre. L'homme, tout vêtu d'un maillot blanc avec ses gants noirs, est debout et à ses pieds est une pelote conique de corde blanche.)

L'homme:
Je rêve.

(Alors on entend un piano qui joue languissamment un thème de cinq notes. L'homme, qui se meut ici avec des gestes saccadés, se penche pour ramasser la pelote de corde mais, à chaque fois qu'il va la saisir, on entend une nouvelle note du thème et la pelote de corde fait un bond hors de sa portée. Cela se produit pour les cinq notes. Ensuite, le filet de lumière blanchâtre disparaît et la scène est dans l'obscurité. On entend les cinq notes du thème encore une fois dans l'obscurité puis l'éclairage redevient normal. L'homme, vêtu normalement, est assis tout seul sur un sofa et il se frotte les yeux avec ses mains gantées.)

L'homme:
J'ai rêvé.

(Les lumières disparaissent. Dans l'obscurité on entend les cinq notes du thème. Les lumières reviennent. L'homme, debout sur une chaise, pose un cadre sur le mur. La femme, en peignoir, est assise sur un sofa.)

L'homme:
Les lumières comme des songes maléfiques. Les dos des ombres à jamais perdus aux cendres de l'humanité.
Je vois les cordes qui encerclent les hommes. Je vois les corps mutiles par le remords.
Je comprends les cordes épinglées dans le souvenir.
Femme aux ongles de chocolat, aux cils d'armistice, tu es à moi.
Je suis le phoque qui a plongé dans les ruisseaux de sirop. Battue imperméable hachée comme des notes de flûte.
Les murs comme des déserts gris nivelant leurs faces longues comme des attentes.
La framboise bien-aimée dans le vallon secret et le silence complice.
Les ailes du papillon mordorées.
Hantise. Amour.
Je me berce dans mes bras et l'harmonie sort de mes oreilles; la dent gâtée dans le spiral.

(Venant de la pièce voisine, on entend le thème de cinq notes joué sur le piano.)

La femme:
Ma sœur. Ma sœur jumelle joue le piano. Elle est là.

L'homme:
Ta sœur jumelle?

La femme:
Les doigts à l'huis des dimensions aspirant des bras blancs qui s'agitent sur un fond noir et qui rivalisent de vitesse.

(Les lumières disparaissent. Dans l'obscurité on entend les cinq notes du thème. Les lumières reviennent. L'homme et la femme, en costume de tennis, s'embrassent debout.)

L'homme:
La paix serpent aux oreilles de soie dans les lessives humides du midi.
J'ai vissé ton corps dans l'espace suspendue entre deux miroirs qui se font face; et ton image grimpe à jamais les échelons de l'infinité des nombres.
Oreille de femme et peau de cochon rose.
Ah! je m'amuse!
La peau de l'homme comme une corne de bœuf dans l'influence des ciels de glace rosaces.
L'automne cuve l'été.
Ce soir je me coucherai sur ton corps dans la rédemption noire qui glisse des pierres pourtant rêvées.

(De la pièce voisine on entend le thème de cinq notes joué sur le piano.)

(L'homme écoute en rêvant.)

La femme:
Habillés en blanc dans les passerelles hésitantes nous sommes les bulles de savon.
Des gorges de folie dans des bassins remplis de transpiration.
Holà! Pitres de mendicité, époumonez-vous dans les soutanes centenaires!
Égrenez les grains faites uriner les sculptures! À mort, tapisserie! J'ai mon homme.
Les sirotants susurrements dans les herbages aériens.
Finie la classe! Cloués, les plastrons!

L'homme:
Je le crois.

(Les lumières disparaissent. Dans l'obscurité on entend les cinq notes du thème. Le thème se prolonge et on l'entend toujours tandis que les lumières reviennent. L'homme, en habit ordinaire, avec ses gants noirs, se tient près de la porte, l'air songeur. Le thème est toujours entendu. L'homme s'approche de la porte, il se penche et regarde par le trou de la serrure. Mais il recule aussitôt en portant ses deux mains à son œil.)

L'homme:
La douleur dans mon œil!
Rien! Il n'y a rien à voir! Des pics moussus de vapeurs vertes plus épaisses que des peaux d'ours!
Mon œil bas. Mon œil amoindri. Mon œil blessé. La douleur dans mon œil. Lumière qui rend aveugle!

(Les lumières disparaissent. Dans l'obscurité on entend les cinq notes du thème. Les lumières reviennent. L'homme et la femme, en habits ordinaires, sont debout l'un devant l'autre. L'homme a un journal dans la main droite.)

L'homme:
Les capitaineries capitonnées se sont avilies absurdement.
Soyons sérieux.
Si je trouvais un jonc avec sa racine dans une armoire de nickel, je courrais me laver et j'écouterais, anxieux.
Le défilé lancinant dans une capitale olive qui est de prunes.
Parlons-en!
Des Judas viennent gratter le sol de nos pelouses, la verge à l'air. Absurdité plus vraie que les monts barbus.
Enflure critique. J'en discute canoniquement. Voix de pépites brassées dans les mains russes bûcheronnes.
Vous avez vos dames, tout va bien, n'allez pas à la pêche au croissant de lune.
La mort des captifs dans les marres de jus de tomate. Perplexe.
Ainsi donc les cancers progressent comme des huitres sur la paroi d'un bocal.
Jus de palissade. Effort hernie achèvement.
Nous ne sommes pas de ceux qui peinent dans les éclairs de boue.
Parasol contre les insinuations métisses.
Inconduite serbe et remontrance médiévale. Pensons aux enfants couverts de vignes vertes.
Le jour se baigne dans les ténèbres couchées par la faux.
Superbe panoplie.

(On entend les quatre premières notes du thème, venant de la pièce voisine. L'homme écoute. La cinquième note ne vient pas. L'homme pétrifié dans l'attente de la cinquième note est insensible comme une statue de plomb. Rien ne se passe. La femme chancelle plusieurs fois et puis, comme à la fin, elle s'affaisse en tournant sur elle-même comme dans un remous. L'homme ne bronche pas. Après on entend la cinquième note très faible. Alors l'homme se précipite sur la femme, il se penche sur elle.)

L'homme:
Elle est morte.

(Il se redresse mécaniquement et se tourne vers la porte qu'il fixe d'un regard songeur. Il atttend, il ne bouge pas. Puis il enlève ses gants noirs et il marche vers la porte. Il s'arrête, puis il ouvre la porte. Il ne sort de la pièce qu'une épaisse lumière verte, pâteuse, inépuisable. On sent qu'il n'y a que cette lumière dans la pièce voisine et qu'elle couvre tout. La lumière verte frappe le visage de l'homme qui recule brusquement en portant ses mains à ses yeux.)

L'homme:
Ah! mes yeux! Elle ronge mes yeux!

(Il se ressaisit et brusquement il entre dans la pièce. On ne le voit plus. Après un moment, il revient, les paupières crispées de douleur. Il a remis les gants noirs. La porte se referme.)

L'homme:
Elle est morte à côté de son piano.
Je vois les caveaux sans fenêtre dans la lumière du soleil.
La saoulerie enivre et tombe comme des feuilles malades.
Rien. Rien. Le désert. Le signe dans les pesanteurs immondes.
Enfin l'âme a tu son aube.
Les serpents noirs filent dans les foins poussiéreux.
Adamique trahison. Les morts dans les sangs des bœufs.
Ardoise rougie. Peuplier sans tête.
Les mimes s'enflamment.
Retranchement. Gueule lépreuse plus émue que les contritions acides. Barrière. Foulard des veines innées.
Les fox-terriers plongés dans les contrats de mariage orthodoxes.
Botte de cosaque dans les plaines dévastées. Conclusion. Initiation.
Je vois les caveaux les caveaux les caveaux.

(Alors on entend les cinq notes du thème venant de la pièce voisine. L'homme se retourne vers la porte et il la fixe, immobile, avec perplexité et effroi. Les lumières baissent et s'éteignent. Dans l'obscurité on entend les cinq notes du thème qui se poursuit pendant que la lumière revient, et qui continue une fois la lumière redevenue normale. L'homme est toujours dans la même position avec la même expression mais il a des rides au front et des cheveux gris aux tempes. La femme n'est plus là. Enfin, le thème cesse.)

L'homme:
Les tartes fumantes. Je bous plus que l'intelligence d'un calamiteux.
Je vis l'univers des paliers sans escaliers.
Les fabricants de parapluies pour moutons me rient à la face car nous sommes des frères. Nous sommes de la même peste.

(On entend les cinq notes du thème. L'homme ouvre la porte d'un coup sec. Instinctivement l'homme porte ses mains à ses yeux mais il se dompte et il se force à regarder dans la lumière verte.)

L'homme:
Il n'y a personne.

(La porte se referme. On entend de nouveau le thème répété plusieurs fois. L'homme s'approche de la porte sans faire de bruit, il se penche furtivement et il regarde par le trou de la serrure.)

L'homme:
Il n'y a personne. Il n'y a personne.
Et j'ai mal aux yeux.
Ah! les fientes assorties qui végètent dans vos patiences!
L'homme mûr est flexible comme un roseau.

(La partie soulignée est chantée sur les cinq notes du thème sans accompagnement.)

Je vois les caveaux les caveaux, les caveaux.
Patrie aux cent visages découpés en abscisse. Qui lira le fond des vérités de bon sens?

(On entend le thème.)

Des triques aux mains. Paysans vergogneux. Atlas haletant. Des démarches minuscules. C'est l'exégèse du printemps.
Combien de vents?
Pères! Les clans de saxophone dans les villages.
Réquisiteur des morts maladroites.
Je veux baiser les jambes des demoiselles.
Ah!
Mes mains! Mes mains! Ce sont mes mains! Mes mains qui jouent!

(Avec ses gants il enlève ses gants noirs. En dessous des gants il n'y a plus de mains, les manchettes sont vides. L'homme regarde ses manchettes de près car ses yeux sont malades. Il laisse tomber les gants par terre. D'un coup de pied il ouvre la porte.)

L'homme:
Tout superflu! Mes mains! Sur le piano mes mains! Ce sont mes mains qui jouent! Je vois mes mains qui jouent sur le piano!

(Il est entré complètement dans la pièce. On ne le voit plus. Soudain on l'entend pousser des hurlements. Enfin il reparaît. La porte se referme.)

L'homme:
Je suis aveugle.
Les gares dans le lointain, les gares à jamais dans le lointain.

(On frappe à une autre porte. Deux hommes du peuple vêtus chacun d'une salopette entrent.)

Le premier homme du peuple:
Nous sommes les déménageurs.

L'homme:
Ah!

Le deuxième homme du peuple:
Nous venons déménager le piano.

L'homme:
(comme dans un rêve) Ah! Un moment.

(Il ramasse les gants avec ses dents et il entre dans la pièce. Il en ressort sans ses gants. Les déménageurs, sans hésitation, entrent dans la pièce voisine et ils en ressortent avec le piano. La porte se referme. Sur le piano sont les deux mains gantées. Les déménageurs disparaissent avec le piano.)

L'homme:
Papillon, lève-toi.
Les soupapes cristallisées dans les mers d'iode.
Les Germains aux cannes osseuses marchent au milieu des allées tièdes, ce sont des caravanes de chameaux dans le Sahara.
Bosselées dans les feuilles trop lentes pour la vie comme la Mer Morte.
Qui marche comme des marionnettes dans l'automne crue comme le soleil dans les siècles révolus.
Poudres explosives sous les plantes de pieds centenaires.
La nage pâlement tortillante dans les brouillards de l'automne.
Les maux comme des grains d'un chapelet.
Mort lente courbée lentement comme la tête de statue par le temps.
J'avais dix pistoles. Dans la flamme autoritaire des soleils blancs.
Le jaune est tombé dans les forêts nostalgiques des matins.
Nostalgie dans les ventres boutonnés, sous les chaînes d'or d'amandes.
Les chevaliers d'Auvergne me tiennent compagnie dans le printemps soumis.
Hantise caressante. Chaîne de quai lugubre dans les sourires plus vivaces.
Les leçons de tendresse dans le soir blond.
Les mécaniques argentées s'engloutissent dans les étapes surnaturelles.
Les anciens frères coulent coulent.
Adamique soie. J'ai besoin de tendresse dans les palmes de mon inquiétude.
Inquiète bénédiction qui te soumet dans les bordées de nuages craintifs et téméraires.
Courbez vos toupets, sincères, dans les câlines rustreries. Industrieuses fissures dans les temps de vies humaines, c'est le canal avec des barques noires qui s'oublient elles-mêmes dans leurs chimères.
Nous sommes las. Nos jambes saignent. Nos fois suppurent.
C'est le chef algonquin qui n'oublie les rivages de crêmeux sables.
Des chiens tapageurs ornent nos solitaires pensées. Le voile des nonnes s'égare dans nos poitrails majestueux. Triste Frédéric dans les huiles spirituelles. Ce sont les défections des oncles qui meurent squelettes dans les mirages des cygnes.
Douceur pavoisée. Ennui anormal dans les peines humaines! Ô les berceuses réflexions.
C'est un homme qui déambule dans la maison seule.
J'ai peur dans les douceurs inhumaines.
Ô fiscal tourment. Les brutaux dévergondages s'offrent masqués dans les pays d'ailes noires.
Je suis une génération de jeunesse vieille. Vos passeports ont été payés cher, infiniment cher.
Vous êtes les jeunes qui ont rêvé de cheminées au métal aveuglant.
Nous partons dans les épines de flammèches.
Souriant espoir qui tombe dans les ongles de pieds coupants.
Ah! les brumeux cousinages.
Je fais des signes de bras à l'avenir hautain comme un matelot couvert de chancres d'ennui.

(C'est alors que de la pièce voisine on entend les cinq notes du thème jouées sur le piano. L'homme tressaille. Il se retourne vers la porte pesamment presque avec désespoir. Il la regarde. Et puis, à pas mesurés, il se referme derrière lui. Silence. On entend comme des bruits de chaises qu'on change de place, comme des coups de marteaux sur le mur, comme le chahut d'un homme en colère, un désordre confus. Et puis, on entend les cinq notes du thème sur un bruit de piano très clair. Et puis le thème est joué sur des notes plus basses. Et puis tout se précipite. On entend un orchestre qui joue le thème, qui le joue de plus en plus fort. Le thème de cinq notes est joué par l'orchestre dans une montée qui s'amplifie indéfiniment.)


Rideau

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