dimanche 30 mars 2008

Fatigue et réalité sans soupçon

Keulessa Kyrien Cobliéniz Jaboir
Veulééioto Caubitchounitz Abléoco
Vénicir Chlaham Kérioti Kliko
Sannessa vélo Moutchnaïk Révoi
Kharinaïne bénessoir sellèr achmatz
krioun alégo amemor ripiutz leslé
aglradine noeutéon paklica erremmetz
djackliane mandousse petréobor
nochnéagriawa sétel-sel clariassener
jôquoimoil nontonduc allessande rébrér
novaképalès Djvoriadjiana Kuntroubel
tétrapaïte jonsel nilâcoua alrivage
akdoc cousine-germaine déplaatz
circuitz monse dobo lévil-clair
palosse-pensée moulmolosse adjeuate
Kénoice Salibleuwié Aklistantan
Schnlouem Jakonitz Eulbéka Krôhenn
LaToilia Dédjoitonte Wanékoin
Lite-gazère Goitena Chapelle automatique


Rideau

La mayonnaise ovale et le dossier de chaise médiéval

Yum Yum Yum Yum Yum Yum Yum Yum Yum Yum Yum
Yum Yum Yum Yum Yum Yum Yum Yum Yum Yum Yum
Tiou — tiutiu — Panpan la falette
Braquette — bobo
Agaïante ipluche
Les faroris masturbants sur les deux joues du lord anglais
Lord lard
Heuh-Hih-Heu-ouh.
Ma reine clarette et ma clette clavente
Par-dessus l'aube du marché
Par-dessus les bestiaux de l'aurore de foin d'or
Ma chipoine de mon chanoine redressée dru comme un tambour-major de fanfare
Allas
Cri-Crin-Cric-Crin-Cric-Crin-Cric
A Potsdam l'alouette
Ceci qui scandalisera tous ne me scandalise pas moi-même
Et des buttes de foin
Et des carrés de briques
La plus subtantifique moëlle
Agazzi afraguizas monte-to
Le pendule vert Il n'y a que lèzomo
Contumante


Rideau

jeudi 27 mars 2008

Le soldat Claude

(Un soldat est tout seul sur une butte de terre au milieu d'un champ désert. C'est le soldat Claude. Il fait nuit.)

Le soldat Claude — Sur les carrefours constellaires au milieu de la nuit qui fait pch-ch se tient un homme, inébranlable.
Invité à turlupiner les fesses rosâtres des filles bourgeoises, il a répondu avec un front uni et boucanier.
Cet homme s'est dit: Puisque je marche dans la boue vierge alors que les bourgeois protègent leur cul contre la lassitude, puisque je fais des pas où il n'y a jamais eu de pas, puisque je suis un brise-glace vociférant dans le gel, je ne suis pas semblable aux autres, je me classe derechef parmi les êtres exceptionnels.
Sur les croix constellaires qui sont en mica, qui brillent par plaques comme du mica, qui cymbalisent le mica, l'homme secoue le débarquement de ses souvenirs à coup de testicules. Le champ de bataille d'argousin plane sur moi et sur lui au moment d'un solennel pipi spirituel. Les extases de la vingtième année qui s'appellent galouchuris fournicuteurs sont venues à l'écho de l'homme.
L'homme voit défiler des pâtres pâtissiers qui sifflotent en norvégien, tout blancs tout blanc, blancs tout, dont les tibias frémissants semblent chuchoter: Tu es le meilleur.
Tu montras ma peau à Alcibiade, dit-il, ô Léonie, dans un pas de préternaturel. Nos côtes se sont touchées car je dormais et j'ai parcouru les bouffées de ses yeux fixés sur moi. L'arabe des cimes m'a confirmé dans mon idée. L'horticulture, ô Léonie, ô Alcibiade, a peigné mes hirsutes cheveux et j'ai pressenti sur son sein gauche des lèvres de nègre qui me disent: Ça y est, tu le tiens.
Tenir quoi? Tenir à quoi?
Il est plongé dans l'oster-monde et capte des fractions de rythmes sursautés des monstres poétiques. Les géants de l'hélid-monde couchent avec lui. Les femmes des géants ont consacré leur vie à compter les poils de son sexe. Il sommeille et rumine. C'est dans cette atmosphère qu'il se dit: Je suis un homme digne.
Au lieu de m'épuiser dans des complots certains j'aurais dû parler des crimes du silence. L'homme se voit marchant dans la neige; il songe aux femmes enceintes qui lui sourient dans la pâte de farine. Dis-moi, ô Apollon, suis-je beau? Dis-moi, ô Gulliver, suis-je carnivore? Voilà ce qu'il pense, le catalyptique!

Tandis qu'il s'applique à sculpter des jambes de jeunes filles chaleureuses sur une côtelette d'inspiration, il ne voit pas le train qui passe, il ne voit pas le bou-hou des girls des shorts.

O Cinéid, qui es-tu? Je suis le plus grand. Il se parfume de mots et graisse les roues de son train pour l'oval-monde.
Moi je suis le soldat Claude qui veille sur les porc frais et les rubis.

(Une balle est tirée qui lui entre dans la tête. Un filet de sang coule sur sa tempe.)

C'est moi qui parle maintenant: Dis-moi, ô Apollinaris, suis-je carnivore?

Je sais que j'aime la chair mais suis-je carnivore?

Je veux le savoir parce que j'ai reçu une balle dans ma tête.

Je fais halte un instant dans mon idée: Je suis pollué par le destin, aurait dit cet homme dans le ravin.

Mais non, la fontaine de Zarathlunska voyage dans le crin de mulet; trois petits pops du crin arborigène de Zarathlunska. Sur mon traîneau palgaillard ma cervelle chauffe recouverte d'un diadème de fiel.

Hopus! chef des pompiers, un pouce de meringue a-t-il suffi entre le rouge altide et le bleu d'argandi? Non! Il ne peut plus suffire. Et la morve à vos babines de phoque castre vos chimères austères.

La balle digitale coule dans le royaume d'Urumir sur ma grâce et ma foi, coule en bulles sur mon zèbre, lancinamment on entend mon cri d'agonie, elle est, la balle, un pilon de béton baigné d'orge qui reflète une fauvette mauve.

La malmar d'Ukili roulant l'aube dans son dortoir m'appelle avec la fièvre du désespoir, son hurlement d'appel résonne lugubrement, fait taire les hyènes et glace les alpides, mais une fauvette mauve lui répond, dul-dul, l'ombre auguste du renoncement sublime lèche les murailles d'albâtre. Le reflet de mauve fauvette a déjoué les calculs, la cave conifère mandate les ténèbres et les ténèbres mauves, les deux colibris ont harassé la grève asséchée; femelle aux entrailles moites, la balle digitale a ressuscité les morts, la pluie est mauve, l'aurore est la baïonnette embrasée du soldat Claude.

Crécelles d'ivoire, Apollinaris des Poètes gazouille dans l'air félin. Et moi et mon ami, côte à côte, moi la tête enfornée de feu, nous marchons dans les voiles d'orman.

Ah.
Ah-r-r-r.

(Il saisit sa tête par les cheveux dans sa main droite; il la détache de ses épaules et la tient à bout de bras.)

Tu montreras ma tête à Gauguin, elle en vaut la peine.


Rideau

dimanche 16 mars 2008

La prière pour l'indulgence

(Grisha est couché au travers d'un point d'interrogation horizontal ayant le point à gauche. Au fond, ce sont tous les rouages du mécanisme d'un cadran gigantesque qui marchent sans arrêt.)

Grisha Voix de terre! Console la terre!
Rideau muet, parle.
Le perroquet ne s'est pas tu et la lèvre moulue a épousé la témérité.
Hommes, hommes, soyez généreux. Ayez pitié de ceux qui labourent la vie.
Les cerceaux s'entrecroisent, la larme éclôt dans la stupeur.
Portière jaune, l'élan a passé par toi.
Les cendriers opalins se mettent à danser.
Les aiguilles les carrosseries.
Indulgence, a dit le sage.
Indulgence, a dit le genou fléchi.
Platon est mort et la détresse a mangé son nez.
Pitié! Pitié!

(Deux moutons, venant d'un côté opposé, entrent en bondissant. Dans le fond, une espèce de danseur habillé en maillot jaune et brun entre en dansant, ses deux pieds formant une ligne droite.)

L'armure de poils ne suffit pas.
Qui viole apaise et détruit.
Le respect est le chant du rossignol.
Je connus un homme qui marchait sans cesse sur les wasserfalls et qui mourut d'assèchement dans les chemins de sable.
C'est effroyable mais vous ne l'avez pas compris.
Une rose avait pleuré et des hommes avaient connu la tempête dans leur poitrine.
Un cor avait appelé Roland mais les pointes de lances en rangs serrés figuraient le désert.

(D'une seule poignée, Grisha a arraché la peau du ventre du danseur et tandis qu'il parle il lui sort les tripes du corps une à une avec une très grande application. Quand Grisha aura fini, le danseur disparaîtra.)

Les moujiks ne veulent pas comprendre quand je leur dis que les dieux vivaient dans l'air et expiraient dans la tête. Les moujiks, ce sont les bêtes. Les bêtes, ce sont les yeux effroyables qui consument les cœurs.
Les charbons effroyables qui brûlent atrocement dans les figures.
Les vignes se perdent car vous avez oublié la manière d'y boire.
Immenses rues, immenses rues, la sécheresse a fait de vous des condamnés.

(Entre une femme dans une brouette qui roule sans que personne ne la pousse. Cette femme a la tête qui lui pend au-dessus de la roue de la brouette. La brouette traverse la scène et sort.)

Ainsi va la vie.
Si vous oubliez d'y puiser les parfums, vos os réclameront et la boule intérieure sera vierge.
Touchez, il faut toucher car les blocs impeccables s'enlisent d'intégrité.
Totalement dénué. C'est clair. Chère chair.
Je n'ai pas cru qu'un corbeau noir pouvait être un signe.
Je t'ai dit: Peuh! Je ne me le pardonnerai jamais.
Un cygne meurt en chantant, un œil meurt en gémissant.

(Des béquilles évoluent seules en rond tragiquement au milieu de la scène.)

La terre est morte! La terre est morte! Ses banderoles se cambrent dans la vague de vent.
Des crêpes violets pendent accrochés aux clous des rayons immatériels.
La flottaison s'exerce à l'état général.
Le monde mort flotte.
Voyez glisser les cristaux sur l'échine de l'aurore boréale.
Les poulies deviennent d'une puissance suggestive inoubliable dans ce fouillis.
Je calculerai la montre d'or car les pins déclassés auront rejoint la mer dans l'unité confuse.
Je prie car j'ai compris.
J'ai suivi la route sous les ormes et la chaleur liquide et la barre d'or a surpris mon flanc.
L'enfantement le rugissement.

(Un livre rouge gigantesque descend lentement jusqu'à terre et s'y pose, perpendiculairement au plancher.)

La décence scrute.
Il est mort.
Aboie pourquoi? Mort tue.
Réclamez l'avoine et les cierges auront pour vous la saveur d'une main aux ongles déchirés.
Pensez et repensez, la torpeur coule du nuage gonflé d'ivraie.
Le signe tonitrue, l'anse culbute.
Joyaux heureux.

(Sans changer de position le livre s'ouvre et de ses pages tombent des boules lumineuses qui sont des fragments de fusée. Le livre demeure entrouvert.)

Les curés chauves ne diront pas leur messe quand les aiguilles s'entêteront.
Les œillets complètent les galets quand on les mêle.
Patrie découpée en virgules, il est vrai.
Moi, j'ai trouvé mon cercueil.

(Il entre dans le livre qui se referme sur lui et remonte vers le plafond jusqu'à disparaître.)
(Les béquilles se transforment en parapluies et il pleut des yeux.)



Rideau

samedi 8 mars 2008

Nostalgie sourire

(On a l’impression de voir beaucoup de sable. À gauche, le jeune homme Mervè et sa jeune femme Géhur sont assis tout près l’un de l’autre. Un miroir est à plat sur le sol, la glace face au ciel. Au fond, un peu à gauche, presque au centre, le peintre travaille sans arrêt à une toile cachée par des étoffes.)

Mervè — Gabriels, chantez!
Je veux, Géhur, que tu m’apportes le livre!
Ala-Alcala-Hah!
Mon ignorance s’immole à tes pieds.
Des baisers n’ont pas dilué mon épaisse gale.
C’est le silence seul qui comprendra le sens de mes paroles.
Aucun homme sur la terre ne comprendra ce que je dirai.
Je suis un marchand de silence. Le miel suffocant entre deux mots tragiques est mon œuvre.
Les hommes vivent entre deux mots. Les hommes vivent dans le silence.
Les grands explicateurs sont des morts enfants.
Tu iras chercher le livre quand tu comprendras que je le veux.

Géhur — Le sable chaud enivre, il détend mes membres dans le délire.
Mes mamelles sont des prunes roses qui ne tentent point les loups.
Mes mamelles sont des prunes mordues.
Regarde le miroir.

(Elle prend le miroir dans sa main droite et le montre à Mervè. Dans le miroir on voit deux mains argentées qui ondulent très lentement comme dans la fumée blanche.)

Mervè — Morsure! Morsure!
Incompréhensible discours!
Je parle à mon âme, et mon âme seule comprend alors que je ne comprends moi-même.
Déchiquètent avec les lances enflammées, les esclaves!
Je vois la caravane. Je vois la caravane. Je vois la caravane muette. La caravane muette. Muette. La caravane. La caravane; les caravanes. La cara-bul.
Jarre verte, langue drable, méditation olive, fesse femelle bleuide, serrure crémâtre.
Hâh-bâ-bâ-palâ-flâh!
Paradis! Cercle de paradis! Cercle ceinturé de vipères urinées!
Le Créateur me dit bonsoir, et je me dandine comme un serpent charmé et je rougis alors qu'il lève le marteau.
Trois fois maudits les ventres trop chauds! Les ventres qui nous perdent!
Les ventres d'autrui qui nous posent des problèmes!
J'ai joué avec ton cheveu, avec la mèche blonde de la chevelure. Tu te souviens de ma lèvre gercée?
Je t'ai transportée comme un gorille dans les glaces de ma pensée.
Insupportable chaleur! Sable accablant!
Nia-Nia-Cœur!
Un ruisselet de liquide humain réfléchi sur la côte de l'Enfer terrestre!
Truie. Truie. Vingt truies. Vingt truies en chœur qui alourdissent nos fatigues.
Lourdeur des chaleurs assommantes!

Géhur — Entre ma hanche et mon sein se trouve une danse.
Se trouve une couleur.
Entre mes genoux se trouve un arc-en-ciel.
Il va se métamorphoser en doigt ensanglanté ou en épervier.
Sur l'onde de mes cheveux bouclés se trouve une chanson qui marmottaient dans leurs poumons les grands-pères farouchement vagabonds.
Les grands-pères existent à l'horizon franchi, l'odeur de notre passé est sur nous comme un vaccin.
Les actes anciens sont des lézards qui ont rampé jusqu'à nous.


Le peintre — Agonie des perdrix. Agonie du bruissement d'ailes.
J'écoute.
Les morts.
Les morts nostalgiques qui coulent dans les fleuves desséchés désertés, comme des murs de plâtre.
Cette idée m'illumine. Je brûle comme du phosphore hagard.
Les notes de violoncelle ruissellent dans mes cheveux mats.
J'ai brandi mon pinceau avec désinvolture et il s'est humecté de soleil doré.
Hier la moitié de la lune est passée sur ma toile. L'autre moitié s'engraisse depuis pour combler le vide.
Mon cœur est parti en voyage dans le violet des bleuets sauvages qui sont cachés dans le désert, mon cœur s'émeut dans la couleur, dans la pincée de couleur, mon cœur pleure.
Mon cœur a entrepris une œuvre trop vaste.
Je m'écroule sous mes désirs, j'agonise sous ma fontaine de brume lumineuse.
Douces mains, douces mains féminines sur ma joue. Je pleure de ne pas pouvoir.
Amèrement désespéré.
Le baume des lilas spirituels sur mes lèvres: continent conçu dans un cerveau d'homme téméraire.
L'assaut reviendra, l'assaut des vagues d'idéal, plus salées que la mer.

Mervè — Le peintre s'exprime dans le couchant rose.

Géhur — À quoi travaille le peintre?

Mervè — Le peintre travaille à l'œuvre de sa vie.
Ma jeune femme, nuit et jour sans manger je l'ai vu, depuis que mes yeux regardent, travailler sur sa toile.
Il ne montre pas sa toile: il attend de la finir.

(Le peintre ouvre son œil droit tout grand avec sa main gauche. Avec son pinceau, tenu dans sa main droite, il prend son œil, comme de la peinture sur une palette, et il continue à peindre.)
(À droite paraît le monstre. C'est un homme qui a, greffé dans le dos, un torse de femme très long et très mou; les bras de la femme s'agitent continuellement comme des bras de danseuse égyptienne.)

Le monstre — Nos âmes sont rongées palabrement. Toujours la même lèpre d'espérance.
Anya-Touya-Sahia!
L'offrande durcit dans l'espace entre les pieds du Créateur et ma tête.
Spirituellement j'ai un museau de rongeur. Et j'en souffre et je grognote éternellement les pensées des autres en lambeaux.
J'ai un corps inutile, un corps de femme, qui me fige comme une sauce glacée, qui me fige de glace dans l'éternité.
Les corps des colonnes de marbre penchées vers le vent, penchées vers la source.
Je crois. Je suis venu apporter un message de foi.
Je suis un prophète sans barbe. Je suis un prophète qui se tord sur sa pensée comme un serpent.
Je suis venu avec le vent, avec mes têtes. Je suis venu dans le vent, dans le vent qui me rend mélancolique, qui me rend fané, le vent qui souffle comme une âme dans la tempête.
Le cœur, sorti de l'eau tout ruisselant, emprisonné à l'improviste dans mon corps. Cœur prisonnier! Cœur perdu!
J'ai joué du luth sous mon mollet.
J'ai pris les anges par les cheveux, et j'ai tiré, et j'ai tiré, et je me suis éveillé. En sueur.
Les cathédrales fondent dans mes paupières et deviennent du jus de citron, de la cire jaune étendue.
Mes gerbes frémissantes font la glissade sur le croissant.

(Il se couche non loin du peintre et reste là sans bouger, face contre terre.)
(Avec son pinceau le peintre prend son propre menton comme de la peinture et continue à peindre.)


Mervè — Au bout des épitaphes vertes où les humains viennent paître, quand les terres de sable s'assèchent, il flotte des sourires en vapeur au fond d'un gouffre, il coule obscurément un filet d'étincelle entre deux crêtes d'oubli, j'ai cru distinguer un phare humain très loin, très loin dans la plaine de sable couverte de soleil. J'ai cru distinguer plus petit que ma ride un poteau d'espoir enfoui dans le recul.
Ma foi j'ai mis. Ma foi en nage. Je parlerai de la lumière comme un bâton de phosphore greffé au flanc de la lune, je parlerai de la lumière comme un torrent égaré au centre de la terre, je parlerai du cœur des hommes porté dans le ciel par des mains muettes comme une boule de cristal, comme une feuille de papier transparente avec sa lueur au centre, je parlerai de sa lumière, jusqu'aux ténèbres je respirerai avec halètement sa lumière en qui j'ai mis ma foi, et je ne cesserai pas quand j'aurai lassé les têtes chauves.

(Le peintre se lève brusquement.)

Le peintre — Ma toile mon sang.
Il faut que je la montre!
Regarde, Géhur!
Le chef-d'œuvre des bras qui se sont crus des Dieux, le chef-d'œuvre peint avec les héroïsmes des hommes, dessiné sur des mémoires d'Asie, sculpté dans le sang, sculpté dans la chair.
Sang! tiré de la boue par des bras extraordinaires! extrait comme l'argent! sang de toile!

(Avec tendresse, avec hésitation, il découvre la toile et la montre à Géhur. La toile est vide, il n'y a rien de peint dessus.)

Elle est là, toute!
La douceur me transit, la pudeur des mains qui n'osent pas toucher, la pudeur inscrite!
Le soleil s'est levé sur moi.

(Il presse la toile contre sa joue et pleure de joie.)

Géhur — Elle est vide.

Le peintre — Lis, lis l'intention!
Songes aux corps d'éléphants, vous m'avez pris avec vous comme un petit frère et je suis allé plus loin que la lune sur un rayon de lumière livide.
Les bagnards, piochant sur les perles, sont restés en bas. Et moi, j'ai contemplé face à face. J'ai contemplé. Contemplé. Le soleil se couchait. Les bras de nymphes gazeux ondulaient et les étoiles. Et la gourde et son glouglou. Les cheveux d'ange sur le dos des poissons. Le riz blanchissait avec ma petite femme et l'arc-en-ciel de senteurs mugissait sur mon bras cuivré. Politesse! Retour des âges casqués! Ciel lointain et Terre comme un motton de boue. Les éclats de rire chantaient. Bleuissaient. Les hennissements sortaient des nombrils salés comme un vilebrequin.
O sondes!
Mada m'a dit: Da, ô prince sans royaumes qui gîtes dans les rosées d'amour!
Les femmes obèses prieront pour moi quand elles auront été émues par ma tâche.
J'ai fait un rêve couché sur une tranche du couchant. J'ai vu le monde plus beau que des yeux verts.
J'ai mis mon bras au travers du monde. J'ai mis mon bras trop court.
J'ai mesuré le monde avec mon bras trop court. Le monde trop long, le monde trop vaste.
J'ai mis mon cœur vert par-dessus mon cœur rouge. Bah! la patience est trop longue et le bras est trop court!
J'ai travaillé sur l'éternel chef-d'œuvre. J'ai travaillé sur le monde comme un chirurgien. Avec mon nez, avec mes joues. Les roses sont descendues dans mes veines. La neige d'espoir a mouillé mes seins mâles. Mon torse s'est graissé de tendresse de femme.
O mire!
Les eaux des fleuves et des lacs ont roulé sur mon corps, ont dessiné l'extase de ma bouche. Le poète frêle est venu avec ses bras d'enfant. Mon dos s'est courbé afin que je ramasse les troncs d'arbres comme un glaneur jaloux. Mon cœur a éclaté en fibres sur le monde sans riposte. J'étais devenu missionnaire lucide. Je faisais la cour aux joncs et je buvais leur or pâli.
O moi! O moi! servile à mesurer le monde!
Devenu acrobate habile jonglant sur les soupirs de rêve, je devins somnambule pourchassant les cornes de daims.
Le soleil entre mes mâchoires gloutonnes. Mes mâchoires serrées sur le bonheur d'aimer.
Doucement doucement le désir a éclos dans ma poitrine comme un peuplier.
Mon bras travaillant dans l'amour de la vie. Mon bras travaillant dans les muscles de la vie. J'ai peint avec moi-même. Devenu matière moi seul je me suis peint.
Univers assimilé avec acharnement à mes veines, tu as ouvert tes ailes en moi écorchant mes épaules, tu t'es offert à moi. Univers trop vaste.
Voici ce que j'ai fait de toi, Géhur!
Ceci est à toi! Ceci est à moi!
Ceci est moi transfiguré par l'univers.
Tu l'as vu, Géhur.

(Ses yeux se mouillent de larmes. Il prend la toile au bout de ses bras et la contemple ainsi sans bouger en extase, la figure transfigurée.)

Géhur — Oh! Le temps du livre est venu.

(Elle sort par la droite, au fond, et revient avec un livre de couverture violette qu'elle tient ouvert.)
(Géhur dépose le livre ouvert par terre et s'assoit devant.)

Mervè — Lis le livre.

(Du corps de Géhur sort une voix d'homme que nous ne connaissons pas.)

La voix — Opal-Hung — — — serri-kamuzi-lel!

(À partir de ce moment, Mervè, qui est debout derrière Géhur, commence à remuer les bras malaisément par en avant au ralenti comme s'il avait le torse emprisonné dans une masse de tire gluante et comme s'il cherchait à s'en libérer. En même temps on commence à percevoir la formation d'une pyramide de lumière qui est de couleur cannelle et qui a pour base un carré et pour sommet le livre. Mervè et Géhur sont pris dans cette lumière spectrale. Dès les premiers rayons, Géhur pousse un cri de chien blessé et se met à s'agiter furieusement comme une femme qui aurait toutes les chairs brûlées. Mervè s'agite toujours au ralenti et toujours avec plus de malaise. Soudain, d'une ruée terrible, Géhur s'échappe de la lumière. Elle se roule par terre péniblement pendant un instant. On s'aperçoit tout à coup que Mervè a un poignard dans sa main droite; en même temps, dans la lumière, se forme une silhouette imprécise comme dans un rêve: tout ce qu'on voit, c'est que cet être est vêtu comme d'un coupe-vent rouge. Géhur s'élance d'un bond vers la lumière. Seuls ses bras pénètrent la lumière et elle reste sans bouger ainsi, ses bras immobilisés dans la lumière comme dans du ciment. Mervè et la silhouette s'agitent lentement, l'un en face de l'autre. Malgré lui, comme un homme hypnotisé qui fait des efforts pour réagir, Mervè lève son poignard et l'enfonce dans le cœur de la silhouette qui tombe; et le poignard disparaît de la main de Mervè. La silhouette par terre devient de la fumée rouge qui s'élève dans un tourbillon lent. Dans ce tourbillon apparaît un poignard, puis une main se forme autour du poignard et une espèce de corps imprécis s'ajoute. Ce corps s'approche de Mervè, toujours dans le même rythme lent et calfeutré, et plante son poignard dans le cœur de Mervè. Le poignard se dilue dans la plaie et il se forme un cercle rouge assez épais et raboteux sur la poitrine de Mervè. La couleur cannelle se dissout dans l'atmosphère. Le corps devient instantanément une énorme bouteille verte très précise avec un bouchon. Du même coup le bouchon vole dans les airs comme un boulet de canon, et la bouteille devient comme du papier aspiré par une pompe très puissante et disparaît dans les airs en éclair, en commençant par le fond. Mervè tombe par terre, mort. Géhur ne bouge pas.)
(Le peintre, ignorant de ce qui s'est passé, soudé à sa toile, dépose la toile et, se prenant la tête à deux mains, se met à sangloter d'émotion. Pendant qu'il parle on entend des notes basses de violoncelle.)

Le peintre — Cet homme est mort comme la mort.
La mort avec des orteils comme des clefs.
Les ténèbres ont survécu à la vie.
Dans les ténèbres une fleur grave qui s'allume fauvement, fauvement un bras d'où s'égouttent des bouchées brûlantes de vie.
Une gouttière d'aluminium, émouvante caresse des citadins asséchés, des citadins enlisés.
Lèvres d'argent brillantes comme tes yeux. Ce sont les ongles luisants de la momie ensevelie qui déchirent la nuit.
Homme. Pacha. Homme qui marche comme volent les Anges.
Volcan supporté par des jambes d'homme.
Un cri dans l'abîme. L'homme de génie a suicidé son corps.

(Le monstre prend la toile sur sa main gauche comme un garçon de café. Sur la toile apparaissent comme venant de la brume deux mains d'argent ouvertes vers le ciel. Dans sa position de garçon de café le monstre transporte les mains à côté de Mervè. Il fait glisser les mains sur la poitrine de Mervè. Les mains s'enlisent lentement dans la poitrine de Mervè. Elles disparaissent dans la poitrine.)
(Le monstre prend dans ses bras le peintre qui sanglote et se met debout sur la toile. Tous deux lèvent de terre comme sur un tapis magique. Le monstre et le peintre sur la toile disparaissent dans le fond.)

Géhur — Je crois que je vais mourir.

(Elle meurt.)
(Les lumières deviennent plus brillantes puis plus sombres successivement à plusieurs reprises comme si nous passions rapidement de la nuit au jour et du jour à la nuit. Puis on voit venir un aveugle qui porte sur son dos un sac dont ne sortent que deux jambes de femme. L'aveugle sort de sa poche un masque qu'il met sur sa figure. Ce masque ressemble à la figure de Mervè. L'aveugle détache sa chemise et découvre sa poitrine qui est comme une boule de verre sur laquelle est l'image d'un visage de femme qui ressemble au visage de Géhur. L'aveugle se frappe la poitrine trois fois comme un repentant, puis il enlève son masque et il passe.)
(Il s'écoule du temps, peut-être des mois.)
(Géhur est par terre sur le dos. Dans le dos il lui pousse des pattes d'araignées énormes. Les pattes s'agitent; morte, Géhur est secouée sur ces pattes. Dans le fond apparaît le monstre triplé. Ils sont trois exactement comme lui, ou plutôt c'est le monstre reproduit trois fois. Les trois sont chacun sur une toile, la toile du peintre, et ont chacun un sabre dans la main droite. Ils planent en formation régulière, tous les trois de front en ligne droite. Ils atterrissent et sans descendre de leur toile ils coupent les pattes d'araignée avec leur sabre. Géhur retombe par terre. Les trois copies du monstre repartent dans l'espace vers le fond. Le corps inerte de Géhur se soulève dans l'espace et s'élève dans leur sillon comme une pelure d'orange prise dans le remous d'un yacht. Les copies du monstre et Géhur s'enfoncent dans le fond qui devient trouble et tumultueux. Le fond devient comme un tourbillon épais de sable rouge brique, comme un morceau de foie ensanglanté tout grouillant, comme une plaie vue au microscope. Tout cela grouille, s'agite ténébreusement. Puis la forme d'un cadre de peinture s'y inscrit et s'y précise peu à peu. Cela devient finalement une gigantesque peinture encadrée qui est suspendue sur un rideau rouge. La peinture consiste en deux gros yeux rouges qui se chevauchent presque.)
(Le cadavre de Mervè bondit dans les airs comme une marionnette déclenchée par un ressort. Il roule sur lui-même les bras en croix. Il fait un plongeon dans les airs et tombe sur la tête, s'y maintenant droit comme un piquet. Puis il saute par en avant vers le fond les bras en croix et entre en collision avec la peinture. Il mord l'œil gauche de toute la force de ses dents, demeurant collé à la peinture comme un timbre. De l'œil gauche sort un bras mauve d'animal qui enlace le corps de Mervè et le retourne complètement. Le bras mauve maintient Mervè la tête en bas. Du cadavre de Mervè sort une voix de microphone.)

La voix de microphone — Moi! Moi! Moi! Le livre!
Qui chante,
qui chante.
L'amour.


Rideau

mercredi 5 mars 2008

Le cornet à dés du curé

Le dé vert (égaré par son maître dans le retroussis du pantalon du régisseur d'un théâtre de burlesque)

Le préfet du paravent échappe la soude des saveurs humuilantes.
Un accroc, Sébastien, c'en est un.

Quel est ce parfum doré, paragraphe ou aile ou tourette d'un flétan, qui circule comme un bicycle sans manches ou un alcoolique sans bretelles? Bretelle ou jarretière, cela va de soi. Bretelle bleue avec bas serin. Le bas de la jarretière, cela va de soi. Ou le manche d'un couteau effilé farci de plumes d'autruche, de cendre de cormoran, de moiré d'albatros. Je marcherai dans la tiédeur du marron, c'est-à-dire le trottoir de juillet, l'aube des grimaces enjouées, la tête sur l'oreiller de dentelle, entre la cuisse mobile et la pomponnette d'arlequin, cybilline et massandrée, je regarderai dans le saupoudrement salamandasque tomber les bouts de cigarettes et les jours des jupons. Clarté intime et fraîcheur phosphorescente. Je découtinerai le sachet, ramassant dans l'arome alangui des ombelles le sacerdoce du trèfle et la clé d'or du beauharnais.

Je marcherai alerte et figuratif dans les plates-bandes de béton, explorateur du trottoir, angoissé fourrageur de ma rue quotidienne.

Halte ou Stop ou fer blanc à conserves. L'ingrédient boîte à café tordue de force hors la poubelle de giroflée. Charmante poubelle, poubelle éthérée, poubelle aux ailes de muguet, poubelle étirée dans le long, contractée dans l'arabesquiste. Je marche à côté d'une poubelle que je tiens par la main, une poubelle si transparente j'inquiète mon ami par son énigme fraternelle je tiens et j'agrippe, accrochez-vous, la lune au rasoir tête, je tiens et je marche, effleurant de semelle pluvieuse les rosées de lumière, silence, oraison mutée, le silence grince dans la poubelle où le chimiste a fait le vide.

Le néant a mis ses chaussures neuves, les semelles huilées craquent, les poulies grincent.

Tandis que les éboulis farcissent les cauchemars candides.

Eux, les cauchemars, les candides, les potelés, ils se contentent d'un pied de caoutchouc semplant piler dans un dodu biscuit de chocolat.

Non, que non, les drames s'alimentent d'une tension plus compacte qu'ils déglutitionnent âprement.

Les empileurs de tension, regardez, avec des perches de lard et de violenteurs doigts de cuivre.

Cuivre salé chimérique choquement.

La poubelle dérive et les cigarettes émigrent dans un vent de sang bleu. L'aristocrate stable découpe une silhouette de marbre ou de biscuit malaxé dans la pierre sur le décor au climat de kimono qui éjacule le noir taciturne et le citron sexuel. La poussière du rose atmosphérique poudroie la chair blafarde qui branle en cadence comme du gras métaphysique, déchire de dents séniles la rigole de taffetas vert, et le blason toisonné. Le câble humoriste et sans cervelle fauche la huileuse haleine oblique. Sans cri d'Akdebar. Mais l'Empereur Joudi déchire l'apaisement du candélabre comme une truie enceinte.

Têtement violacé, et autre chant tudesque des existencess en contrebande. En grave contrebande. En contrebande attelée, faisandée et marchandée. Et pimentée d'acutuel. Egréoudouanel de la traîne princière à diamants sertie de crème fouettée, de sorbet aux cerises noisetées. Le calme des barges tartares, des injections bridées. Oeil d'amande, chuchotement de la cité, voici les yeux étirés, les yeux élontis dans la menthe, voici les yeux soudés au guimauve à la prospérité des verges, voici la lueur dépolie assermenté au rimel. La rumeur des vents du large, des puits animaux.

Dam-Dam-Drégla-guam.

Et quand se répandra la vacance des ouvriers, je chanterai, je chanterai, je chanterai.

Détente et brique fluoreuse.

Rideau

mardi 19 février 2008

L'hélid-monde

(Tous les personnages parlent un langage synthétique qui aspire au monosyllabisme. Ils s'expriment sans pauses, sans nuances, sans variété.)
(Trois scènes miniatures, ressemblant à des cabanes à chiens avec leur toit pointu, sont placées l'une à côté de l'autre sur la grande scène. Chacune des entrées de ces trois scènes est recouverte d'un rideau de même couleur, épais, inscrutable. Une longue planche part de la rampe de la grande scène et s'élève au-dessus de la salle. En avant des scènes miniatures, sur la grande scène, est un homme vêtu d'un costume d'explorateur qui fait tourner entre ses doigts une énorme sphère terrestre. C'est Ivan l'Invulnérable. Il fait tourner la sphère de plus en plus rapidement. Finalement la moitié supérieure se détache de l'autre moitié et lui reste entre ses mains. Ivan garde la moitié supérieure entre ses mains et il penche le nez vers l'intérieur de la moitié inférieure. De cette moitié inférieure sort un homme qui sera le personnage Lovico. Impassiblement, automatiquement, l'homme se dirige vers la scène miniature de droite et y pénètre par le rideau. Ivan et l'homme n'ont éprouvé aucune tentation de se regarder, ils n'éprouvent l'un envers l'autre aucun intérêt. De la moitié inférieure de la sphère sort une femme qui sera le personnage Blège. Dans la même attitude indifférente de l'homme, elle se dirige vers la scène miniature de droite et y disparaitît. L'attitude d'Ivan demeure identique. De la moitié inférieure de la sphère sort un homme qui sera le personnage Ivan l'Invulnérable. Ce personnage est le même personnage que Ivan l'Invulnérable qui était déjà sur la scène. Il n'y a aucune différence entre eux. Ils sont deux à être le même homme, voilà tout. Pour éviter confusion, Ivan l'Invulnérable, venant juste d'apparaître, est nommé Ivan l'Invulnérable le second; Ivan l'Invulnérable, déjà sur scène, est nommé Ivan l'Invulnérable le premier. Ivan le second se dirige vers la scène miniature du centre et y disparaît. Son attitude est celle d'Ivan le premier qui n'a pas changé. Sort de la moitié inférieure de la sphère terrestre un homme qui sera le personnage Blanugra. Il disparaît derrière le rideau de la scène miniature du centre. Son attitude est celle des précédents. Hors de la moitié de la sphère paraît à son tour un homme qui sera le personnage Corthir. Son attitude est la même; il disparaît derrière le rideau de la scène miniature de gauche. L'attitude d'Ivan le premier n'a pas changé. Ivan le premier se penche au-dessus de la moitié inférieure de la sphère; une sorte de grognement sort de cette moitié. Ivan a un sursaut d'effroi qui le fait reculer, on sent qu'il voit un monstre invisible sortir de cette moitié de la sphère; il suit des yeux cette bête invisible jusqu'à la scène miniature de gauche dont le rideau se soulève sous le passage d'un corps géant puis retombe à son état normal. Ivan le premier remet la partie supérieure de la sphère à sa place première. La scène est redevenue exactement comme au début. Ivan pousse la sphère terrestre à gauche et va s'asseoir à l'extrême avant-scène tout à fait à gauche, en petit bonhomme, les genoux dans ses mains, la direction de son corps orientée vers les trois scènes miniatures. Il prend figure de spectateur. Ivan le premier ne bougera pas de sa place jusqu'au moment où son intervention sera signalée plus loin; d'ici là, l'Ivan l'Invulnérable dont il sera question sera Ivan le second.)
(Le rideau de la scène miniature de droite se lève. Une cave où Lovico est à entrer par le soupirail. Comme Lovico met pied à terre, Blège entre.)

Blège — Vous, ici?

Lovico — Moi.

Blège — Vous venir vers moi?

Lovico — Venir voir votre mari.

Blège — Comment est votre amour pour moi?

Lovico — Ancien.

Blège — Sept ans sans nous voir.

Lovico — Nous nous sommes aimés.

Blège — Moi vous aimer encore.

Lovico — Moi ne plus vous aimer.

Blège — Mon amour être grand pour vous.

Lovico — Mon amour avoir été grand pour vous.

Blège — Nous avoir vécu des heures d'ivresse, de bonheur.

Lovico — Nous avoir été heureux. Moi concéder.

Blège — Toi vouloir recommencer?

Lovico — Non.

Blège — Au revoir.

(Le rideau se baisse. Lovico sort de ce rideau et diaparaît derrière le rideau de la scène miniature du centre. Le rideau de la scène du centre se lève. Un salon. Le haut mur du fond est beige. Dans le salon: une chaise et un buffet. Une carte géographique est dépliée devant les yeux d'Ivan l'Invulnérable; il a les bras étendus en croix pour tenir la carte. Sa figure est cachée pendant toute la scène. Lovico entre.)

Lovico — Ah. Explorateur.

Ivan — Je suis Ivan dit l'Invulnérable.

Lovico — Vous organisez une exploration dans la carcasse des mondes défunts?

Ivan — Dans la mythique île de la mort.

Lovico — Vous ne pas croire en l'île de la mort?

Ivan — Je n'en sais rien. J'irai où l'île de la mort se trouvrerait.

Lovico — Quand?

Ivan — Plus tard.

Lovico — Plus tard?

Ivan — Les déserts fantômes n'attirent pas. Il y a trop de mort à franchir. Personne ne recherche les charniers. Les hommes manquent. Moi, je suis prêt.

Lovico — Prêt moi aussi. Venu pour cela.

Ivan — Vous êtes un explorateur?

Lovico — Moi avoir découvert le ruisseau de l'Adob.

Ivan — Le ruisseau de l'Adob. Je croyais que Corthir avait découvert le ruisseau de l'Adob.

Lovico — Corthir et moi. Corthir appelait moi Fritchou.

Ivan — Ah. Je suis très content.

Lovico — Quand nous partir?

Ivan — Plus tard.

Lovico — Ah.

(Silence.)

Ivan — Regardez. Voici le plan.

Lovico — Vous avoir confiance en moi?

Ivan — Oui.

Lovico — Ah.

Ivan — Corthir est silencieux depuis dix ans. Que fait-il?

Lovico — Corthir ne plus travailler.

Ivan — L'action vous manque.

Lovico — Moi être venu à Ivan l'Invulnérable pour travailler.

Ivan — Je suis indécis.

Lovico — Moi avoir vu le plan.

Ivan — Du désert.

(Blanugra entre. C'est le père de Blège.)

Blanugra — Ivan mauvais gendre.

Ivan — Qu'y a-t-il?

Blanugra — Pourquoi la carte d'explorateur?

Ivan — Je projette.

Blanugra — Toi ne penser qu'à fuir ma fille. Mauvais mari.

Ivan — Sans Blège, je serais parti depuis longtemps.

Blanugra — Toi mentir. Toi vouloir fuir ton foyer.

Ivan — J'adore Blège.

Blanugra — Toi mentir. Toi rester avec Blège par pitié. Toi vouloir partir.

Ivan — Il n'y a aucun mal à être explorateur.

Blanugra — Moi haïr explorateur. Toi fuir ma fille.

Ivan — Fritchou, nous partons.

(Blège entre.)

Blège — Mon père, qu'est-ce que fait encore?

Blanugra — Lui te fuir. Lui explorer.

Blège — N'a pas sujet de chicane. Ivan rester uniquement pour moi ne pas être femme abandonnée. Ivan être généreux.

Ivan — Nous partons, Fritchou.

(Ivan plie la carte et sort suivi de Lovico.)

Blanugra — Gendre maudit.

(Le rideau de la scène du centre tombe. La grande scène devient intensément lumineuse. On a l'impression d'un soleil brûlant. Le rideau de la scène du milieu se lève. Ce qui était le haut mur beige donne l'impression du sable à perte de vue. Ivan et Lovico, qui est maintenant habillé en explorateur, marchent. Ils portent sur le dos des bagages. Ils semblent marcher depuis des jours.)

Ivan — Je crois que nous pouvons nous allouer trois gouttes d'eau.

Lovico — Croire aussi.

(Ivan plonge la main droite dans ses bagages et en sort le bout d'un tube dont le reste est enfoui dans les bagages; il ouvre la bouche et, pesant trois fois le bout du tube, il fait tomber trois gouttes d'eau du tube dans sa bouche. Lovico fait de même.)

Lovico — Explorer être dur. L'eau être nécessaire.

Ivan — Tu parles comme un enfant qui découvre une merveille inconnue.

Lovico — Moi découvrir connaissance.

Ivan — Tu parles comme un qui n'a jamais exploré.

Lovico — Peut-être.

(Ivan et Lovico se remettent en marche. Vers le milieu de la grande scène, ils se couchent pour dormir l'un à côté de l'autre et ils se relèvent aussitôt et se remettent en marche. L'action est synthétique. Ils sortent de la grande scène, à gauche, et ils rentrent aussitôt du même endroit en marchant dans le sens contraire. La lumière de la scène est brûlante. Vers le milieu de la scène, Ivan et Lovico se couchent pour dormir et ils se relèvent aussitôt et se remettent en marche, sortant de la grande scène, à droite. Ils ne restent hors de la scène que quelques secondes; pendant ces quelques secondes, de la scène miniature de gauche sort le même grognement bestial qui était sorti de la moitié de la sphère terrestre. Ivan et Lovico rentrent de la droite, toujours marchant. Ils ont fait quelques pas quand le rideau de la scène miniature de gauche se lève, découvrant un sol plat désolé et mort qui longe une rivière immobile, stagnante, lépreuse, qui ne donne aucun signe de mouvement.)

Lovico— Un mirage.

Ivan — Un cauchemar plutôt. Je ne vois rien d'attirant.

Lovico — Nous devoir nous percer un trou dans une croûte de mort.

Ivan — Allons voir de près cette eau sans vie.

(Lovico se débarrasse de ses bagages qu'il laisse sur la grande scène; avec Ivan, il monte sur la scène miniature de gauche, et tous deux s'approchent de l'eau. Lovico regarde à gauche et s'y tourne complètement; il a vu quelque chose d'intéressant. Il marche vers la gauche et y disparaît.)

Ivan — La terre sans vie est terre de la mort.

(Lovico revient avec un homme sur ses épaules. Cet homme, habillé en explorateur, tient dans sa main une lance couleur d'ébène.)

Lovico — Voici un homme moi avoir trouvé.

(Il le dépose par terre.)

Ivan — C'est Corthir. Il est méconnaissable.

Lovico — Corthir.

Ivan — Il faut le ranimer.

(Il envoie quelques gouttes d'eau dans le visage de Corthir au moyen de son tube.)

Corthir — Des hommes être autour de moi. Moi délirer.

Ivan — Corthir, je suis Ivan l'Invulnérable.

Corthir — Moi connaître Ivan l'Invulnérable.

Ivan — Je suis Ivan.

Corthir — Moi saluer Ivan.

Ivan (désignant Lovico) — Tu ne connais pas cet homme?

Lovico — Corthir ne pas connaître moi et moi ne pas connaître Corthir.

Ivan — Si vous êtes en querelle, Corthir reconnaîtra au moins Fritchou.

Lovico — Moi ne pas être Fritchou.

Corthir — Fritchou mort.

Ivan (à Lovico) — Qui es-tu?

Lovico — Lovico.

Corthir — Fritchou mort sur cette terre sans vie. Moi mourir aussi. Mon exploration m'avoir tué dans les déserts inconnus.

Ivan — Tu es venu ici sans le dire au monde.

Corthir — Moi être parti avec Fritchou seul. Moi ne pas avertir le monde. Moi avertir le monde quand l'œuvre est accomplie.

Ivan — Lovico, pourquoi m'as-tu menti?

Lovico — Moi avoir voulu partir avec Ivan l'Invulnérable.

Ivan — Le motif est suffisant.

Lovico — Nous continuer notre travail. Moi avoir été l'amant de votre femme avant elle connaître vous. Moi ne pas savoir cela quand venir chez vous.

Ivan — Brave type, Lovico.

Corthir — Ne me rester que cette lance de Fritchou, mon nègre dévoué.

Ivan — Nous ne savions pas que Fritchou était nègre.

Lovico — Non.

Corthir — Moi avoir vu Fritchou à côté de moi seulement pour le danger. Celle-ci être la lance de Fritchou. Le nègre invisible le danger passé.

Ivan — Corthir, ne meurs pas.

Corthir — Moi mourrai.

(On entend le grognement bestial terrible cette fois.)

Corthir — Fuyez, fuyez. Celui qui a tué Fritchou venir.

Lovico — Nous défendre Corthir.

Corthir — Trop tard. Moi mourir de soif et de misère.

(Ivan et Lovico reculent instinctivement. On sent qu'ils voient la bête invisible marcher sur eux.)

Ivan — C'est le dragon.

(Ivan et Lovico exécutent tous les mouvements d'une lutte avec une bête énorme et féroce. D'un coup de patte invisible Ivan est projeté en bas de la scène miniature de gauche sur la grande scène; il y reste, étourdi. Lovico est soulevé de terre, il hurle de douleur, et il s'affaisse, lâché. Ivan se libère de son étourdissement; on sent qu'il voit la bête venir sur lui. Il met ses mains dans sa figure pour se protéger. Corthir se met sur ses jambes et, courant vers Ivan, il enfonce sa lance dans le corps invisible de la bête. La bête hurle et, par Corthir qui la poursuit en chancelant, on s'aperçoit qu'elle se sauve sur la scène miniature du centre. Corthir l'y rejoint et enfonce plusieurs fois la lance dans son corps. La bête crie tout ce temps puis râle et pousse une plainte d'agonie. Alors, maintenant morte, la bête devient visible. C'est un dragon qui gît sur le flanc dans le fond de la scène miniature du centre. Entre-temps, le rideau de la scène miniature de gauche se baisse lentement. Corthir vient pour descendre de la scène miniature du centre sur la grande scène, mais il vacille, sa lance tombe près du corps de Lovico, et il s'écroule. Ivan se dresse, affolé.)

Ivan — Corthir! Lovico! Lovico est mort. Lovico! Corthir, ne meurs pas!

(Il se penche sur Corthir et lui prend la main. Ses yeux s'emplissent de larmes.)

Ivan — Corthir, mon vieux! mon vieux!

(Pour un seul instant la scène est plongée dans l'obscurité. On entend Ivan qui dit: « Mon vieux, mon vieux ». Quand les objets redeviennent visibles, on s'aperçoit qu'un objet est à chaque endroit où il y avait un objet, mais certains de ces objets ont changé. Ivan est toujours au même endroit, dans son habit d'explorateur, avec ses bagages sur le dos, et qui pleure. Mais Corthir n'est plus là, c'est Blège qui est à sa place et dont Ivan tient la main. Lovico est à sa même place, étendu par terre, mais il a ses habits d'explorateur. La lance est près de lui. Le haut mur beige est revenu au lieu du sable, et le corps du gragon est le buffet du début. Les bagages de Lovico sont maintenant la chaise, renversée. Blanugra surgit sur la scène miniature du centre.)

Blanugra — Assassin.

Ivan — Quoi?

Blanugra — Entreant commissarius et duo gendarmi.

(D'un même coup, comme poussés par un ressort, un commissaire et deux gendarmes passent la tête au-dessus du toit de chacune des scène miniatures, le commissaire derrière celle du centre.)

Le commissaire — On a commis un crime?

Blanugra — Un crime monstrueux.

(Un coup de sifflet provient de la figure du commissaire. Le commissaire et les deux gendarmes escaladent le toit de leur scène miniature respective et sautent en bas, sur la grande scène. La figure du commissaire est uniquement une barbiche qui part des cheveux et qui va presque jusqu'aux seins; sur cette barbiche est posé un lorgnon. La tête des gendarmes est comme un bloc de bois où leurs traits sont tracés de façon rudimentaire, d'un coup de pouce hâtif: une barre rouge pour les sourcils, deux points pour les yeux, un angle droit pour le nez, un trait bleu pour la bouche, un arc pour chaque oreille.)

Blanugra — Crime passionnel.

Le commissaire — Bien, bien.

(Le commissaire et les gendarmes encerclent Ivan.)

Ivan — Qu'est tout cela?

Blanugra — Assassin.

Ivan — Ce vieillard rancunier est fou.

Le commissaire — À qui sont ces cadavres?

Ivan — Ils ne sont pas à moi. Ils sont à eux-mêmes.

Le commissaire — Pourquoi toi les avoir tués?

Blanugra — Pourquoi?

Ivan — Je ne les ai pas tués. Ce sont Corthir et Lovico. Le dragon les a tués.

(Il désigne le buffet.)

Le commissaire — Quel dragon? Ne te moquer pas de moi. Celui-ci est Lovico mais celui-ci n'est pas Corthir.

Blanugra — Assassin.

Ivan — C'est Blège. Je ne comprend pas.

Blanugra — Et le dragon?

Ivan — C'est le buffet.

Le commissaire — À qui la lance?

Ivan — À Corthir.

Le commissaire — Ne te moquer pas de moi.

Blanugra — La lance n'appartenir pas à Ivan, moi l'avouer.

Le commissaire — À qui?

Ivan — À Corthir.

Blanugra — Ou à Lovico.

Le commissaire — Tout clair. Lovico venir avec la lance.

Blanugra — Lovico avoir déjà été l'amant de ma fille.

Ivan — C'est clair.

Blanugra — Ivan le savoir. Ivan avouer son crime. Ivan, est-ce que toi savoir Lovico avoir été l'amant de ta femme avant lui pénétrer dans cette maison?

Ivan — Dans cette maison? Non. Je n'avais jamais vu Lovico avant qu'il pénètre dans cette maison.

Blanugra — Ivan avouer son crime. Lovico lui apprendre son amour, Ivan tuer Lovico. Ivan ne pas le savoir avant.

Le commissaire — Jalousie. Crime passionnel. Tout clair.

Ivan — Je n'ai tué personne. Le mystère s'acharne sur moi. Je renonce à vous faire comprendre.

Le commissaire — Lovico avoir lance pour attaquer. Ivan plaider légitime défense?

(Ivan se tait.)

Blanugra — Ivan se taire. Lui coupable.

Le commissaire — Tout clair. Ivan tuer Lovico avec la chaise. Coup sur la tête. Puis étrangler Blège: convulsion sur la face d'elle le prouver.

Blanugra — Assassin.

Le commissaire — Mais Ivan pleurer sur le cadavre de Blège.

Blanugra — Remords.

Le commissaire — Exact.

Blanugra — Personne n'entrer ici après Lovico, ma fille avoir été en vie.

Le commissaire — Ivan seul suspect. Ivan coupable.

(À ce moment, Ivan l'Invulnérable le premier intervient.)

Ivan le premier — Ivan, réponds-leur.

(Ivan le second se tait.)

Le commissaire — Ivan ordinairement jaloux?

Blanugra — Lui avoir dit: « J'adore Blège ».

Ivan le second — Je l'ai dit mais je ne le pensais pas.

Blanugra — Toi nier l'avoir dit?

Ivan le second — Je ne le nie pas.

Le commissaire — Rien ne demeure obscur alors. Procédons.

(Ivan le premier se lève.)

Ivan le premier — Cet homme est innocent.

(Tous se retournent instinctivement vers la voix. Ivan le second se sauve sur la planche qui part de la grande scène et surmonte la salle. Les deux gendarmes et le commissaire courent à sa suite. Ivan le second, rendu au bout de la planche, se retourne et leur fait face. Le commissaire lui donne un coup de poing à la figure. Ivan le second tombe en bas de la planche dans l'allée centrale de la salle et y demeure immobile face contre terre.)

Le commissaire — Où lui être passé?

(Il désigne Ivan le premier.)

Le commissaire — Le voilà.

(Il fait signe vers le haut. Un câble terminé par un noeud coulant en descend. La seconde extrémité du câble demeure invisible.)

Le commissaire — Nous être d'accord?

Blanugra — Justice s'accomplir.

Les deux gendarmes — Le peuple être d'accord.

Ivan le premier — L'immensité du mystère fourrer la Justice.

(Le commissaire attache ensemble le bras droit et le pied droit de Ivan le premier ainsi que le bras gauche et son pied gauche, au moyen de ressorts.)

Le commissaire — La permission être accordée au coupable de mourir les bras en croix.

(Ivan le premier étirant les ressorts étend swes bras en croix. Le commissaire attache le noeud coulant autour du cou de Ivan le premier.)

Le commissaire — Pour le pendre allons tirer sur l'autre bout du câble.

(Le commissaire soulève une trappe dans le plancher et il y pénètre suivi des deux gendarmes et de Blanugra. La trappe est refermée.)

Ivan le premier — Le mystère m'appâter. Moi m'en remettre au mystère.

(Le câble, tiré, remonte vers le haut d'un mouvement continu; ainsi Ivan le premier est levé de terre: il demeure immobilisé dans l'espace, pendu. Le cadavre de Lovico se lève et descend dans l'allée de la salle où Ivan le second est étendu. Il prend Ivan le second dans ses bras, le ramène sur la scène; il le met debout puis il va reprendre sa place habituelle de cadavre. Le cadavre de Lovico s'étant immobilisé, Ivan le second bouge. Ivan le second touche aux pieds de Ivan le premier, puis il monte sur la scène miniature du centre, ouvre les portes du buffet, en tire le cadavre du dragon qu'il traîne sur la grande scène; il transporte la sphère terrestre en bas et un peu en avant du lieu où Ivan le premier est pendu. Ivan le second hisse le cadavre du dragon, ce qui le porte à une hauteur suffisante pour qu'il soit au niveau de Ivan le premier. Puis Ivan le second, possédant une efface dans sa main, se met à effacer Ivan le premier de la tête aux pieds. L'efface disparaît progressivement en même temps que le corps de Ivan le premier. Le corps de Ivan le premier disparaît mais non pas les ressort ou le noeud coulant. Quand Ivan le premier a complètement disparu, Ivan le second le remplace, mettant ses pieds et ses mains dans les ressorts et son cou dans le noeud coulant. Le câble continue de monter, élevant davantage Ivan le second, les bras en croix. Les trois scènes miniatures sont soulevées de terre et entraînées à sa suite, ainsi que le cadavre du dragon. Le câble redevient immobile. Ivan le second, pendu, et les autres objets restent suspendus dans les airs. Le plancher de la scène est complètement nu, sauf les cadavres de Blège et de Lovico. L'éclairage redevient intense sur Ivan le second. D'un trou qui se perce haut dans le fond sort un nuage au milieu duquel est une espèce de harpe en bois aux contours inconnus, bizarrement ovalaires. Le nuage reste passablement au fond, haut, plus haut et plus au fond que Ivan le second. Du nuage sortent un homme, une femme et un enfant, qui sont sans visage; au lieu de leur nez, de leurs yeux, de leur bouche, de leur menton, est une surface lisse. Ils se mettent à chanter. La sphère roule sur elle-même pendant ce temps.)
(L'homme se met à chanter très doucement.)

L'homme — Améhal Améhal Améhal
A-A-A Gromubil
Zéhiti-i-i-i-ir
Hi-i-ir Hi-i-ir
Matatête aucharme alokan des herbes kéon nimo
Afrizinir Afrizinir
Le baume tornion gué
Jaccoure Jaccoure
ô nul
Nul Ethérimaza
Pia Pia-a-a
Jentrai à l'ouble
Où frégate culisson à l'air aimé
Aux dinas trajeu et moir à la tombe du rézimer Ils sattent ils mattent
ô mot fougu
Figou Fagui Figrôton
Ami Ami-i-i
Ramasse la tringue annibal mersan sur le point de regendibaler sur la pinte couverte
A l'oubli des mertes
Oulettes
A l'ankin épirdou amer
Her her her her her her

L'homme et la femme (duo) — Ils procurent salaison
Ah muguet-là
Respond à mi coulan
Bonneur Bonneur A-i-ou-hah
Dusse Dusse
Pour un matin
De pourboire
Ci-i-i-i-ilénaire
Apporte donc ma ritourniè-è-è-è-è-è-è-è-è-è-è-èle
Embrase l'imponde qui moule déjà au creux d'imbouze la bougeante
louzède carrée
Amonte Amonte à l'ardenne de l'aube crépitante aux pieds du soir prostré
Dans la nuit close et recueillie
Inhère aux pans d'ouki annjerhamoi
Petit enfant célane
O tu-i u-u-u-u-i-i
tu-u-u-u.

L'enfant — Mamèrimarco
Au sol bénéfactor
Poujira l'andéa canihamahala
O perbe prémerbe sanderbe
Cali doila ô Préador chargé d'épingle de diamants qui musque l'ô-ô-di-acrive
Vrite-le-maga O Pélène chargé de majesté scintillante
Coulervé dans le soleil
Aplati dans la chaleur sans ride
Blanc dans le ciel immaculé

La femme — Soutinte
aux aberges conductrices
Séloni ahinze pi-i-i-i-i-tô-ô-go
Marchand de rêve propret
Convulsé automne désintégré dans le temps
Hopsila-si-i-i-la-a-a-a-a-a
Hopsila Hopsila Hopsila
Chégabonde Babonde Boundo
La tresse vérihité est sointe aux cabouris flétons chigo acrabandar au tunnel pétri achalmiadar-a-a-ar-ar-ar.

L'homme et la femme (duo) — Souco lamplinte
Souco lamplinte
Miarzar vzégué tédel cabrionte
Pou-ou-ou-ou-ou-ou-ou-outte
Poudrace kémalace à l'outrance mébalace frégator
Atohr Alibobor Frégamace cilastace protégeons-nous contre lapiace
cédanmou Matointoin gémarèce
Alligogor Alligogor Alligogor chez toi
Miton clon clon
Patz fédjon

L'homme — La route d'herbes au haut des escaliers
Marches de crême
Support de gaine
A l'Epi A l'Epi chédor cher Darmitor
Soutiens-nous Soutenons-nous Soutenons-le
Echelle farcie
Dans le temps embrumé empruné englaisé
Par la barbe des femmes désossées
Sé Sé
Apihidon-miel
El-el
è-è-è
Soutte Soutte jribol
Mataxas
Eté-o-téo-ô
Protège Aglice
Souton les baclèves antinionsoglize
Zôco-o
Malon mermolon antridave sur les polon des chevelus joufflus
Aléorde
Des chevaliers congrus
Des acélontes accrues
Técruze
U-u-u-u Ballondon
Mitzk

L'enfantE-é-é-é-é-é-é-é-é-é-é-radine

L'homme et la femme (duo)
Protêce ankinar baujoi
Améhal Améhal
L'auberproton solussive agazif au milion ramott telezrave
Gamute pu-u-u-utt
Sang de codon parboude de coluchon grondon ému
Patronize l'enquête géadouard au suc mutène
Pa-a-a-att-att-att
Gromulon mulon mulon ton
Séhed samurize jurnal bennel trod
Lôdasse

(Aux dernières notes du chant, tout s'est élevé et a disparu en haut, Ivan le second, le nuage, les trois scènes miniatures, le cadavre du dragon, la sphère terrestre, laissant seuls en scène, sur le plancher, le cadavre de Lovico et le cadavre de Blège.)


Rideau

lundi 18 février 2008

Instinct semi-palpé

(Des estrades comblées, une salle bondée. À une grande assemblée politique un illustre tribun populaire se lève pour parler. Son front s'emplit de sueur et ses yeux chavirent un moment dans une grande émotion; puis son sourcil se fronce et son front se plisse. Puis ses traits se détendent, et dans une passion frémissante, dans une inspiration soudaine inconnue, il parle.)

L'orateur — Nos peuples ont salué le safran assis sur une rize à côté d'une rize.
Les boulevards ont marché en zones synthétiques crachant les baigneuses ensoleillées comme une offrande stoïque.
Pas à pas et livre à livre l'étroit respir s'est anémié étreint d'un châle verdâtre.
Peuples en un je marche.
J'attends la clé verdâtre.
J'attends l'amulette qui prie.
À côté des murs olympiens et ravinés où le mendiant roux et la charité d'églantine baignent dans la tristesse splendide, le vide vitreux longe l'insoupçonné.
Le peuple en caravane sent l'entrecroisement voisin, le trépignement muet, vertical et monotone.
Le saut comme une bouche qui bâille.
À côté il longe.
À côté le mythe d'une ouate assourdie écarte gentement, éclipse d'une oscillation feutrée et immobile l'ondulation perceptible.
Tandis que la morne rigidité mange l'apôtre sans idiome perçu, les dents des peuples montrent leur blancheur altérée.
Les peuples aux aguets sentent leur compagnon invisible et dans la longitude l'impatience, la pressante tigrerie qui s'effile.
O le calme mouvement et la chair immatérielle frôlée.
Et l'alchimie verdâtre pour nouer dans le sucre hermaphrodite le baiser aigre de délivrance.
Peuples en un je rêve.
Mon errement aérien furette opiniâtrement la science de l'alliance. La magie des mondes morts qui se résignent aux mondes vivants.
La science et le climat de l'interchange.
J'accompagne le silence et la nuit et sur l'oreille de mon compagnon furtif ma lèvre paralysée emprisonne les mots de conviction.
La pesée de l'alliage fondu double trébuche perturbée.
Je côtoie l'amour.
Nullement nullement.
Nullement l'amour n'attend ma chaleur et ma complétion. L'enchevêtrement des obstacles en globe incarne se taire.
Le peuple grince et sue de la vapeur comme une poulie.


Rideau

dimanche 17 février 2008

Le gigot creator

(L'atmosphère synthétisée d'une guinguette qui serait à la fois un tripot. Etkip, représenté par une jarretière, une brassière et trois poils, parle avec Klebbo, représenté par une casquette à carreaux, une pipe, un testicule et un lacet d'espadrille. Le mur est une illusion d'optique obtenue par l'éclairage. Au mur une abstraction est accrochée entre un vagin et un goulot de bouteille duquel pend une goutte de vin rouge. On suppose qu'un accordéon invisible joue immatériellement.)

Etkip Ramouluche le tuyau de pipe et viens peler la pomme. Les coquelicots de vierge me jouent à l'ascenseur dans le métro.

Klebbo
Taquédec! Les poumons du saucisson ne veulent pas prendre l'air; c'est que le dirigeable a déjà vidé son bidon dans le jardin de la papesse ce matin.

Etkip et Klebbo (en duo chanté)

Les saucissons ne veulent pas prendre l'air.
Les carottes sont échinées.
Les choux-fleurs ont mal aux dents.
Les blés de nonnes sont hydropiques.
O Salamigos!
Les pieds-de-nez prennent de la morphine.
Les zababs doivent de la coca.
Le père de la garde montre son derrière.
Le tuyau est ébréché.
O Salamigos.

(Le testicule tressaille joyeusement et les trois poils se contractent avec humour.)

Etkip — Le bateau dans la rivière est secoué par l'ouragan. Amène ta bouée.

Klebbo La rouge ou la noire?

Etkip — La rouge et noire.

Klebbo Si le bédangue câlice dans le feu d'artifice, les bottes de brigitte vont acroubatiller dans le zébrin de l'arc-en-ciel.

La pipe (fumant) — Le pont du pinard va sacrer si je ne dors pas.

Klebbo (à la pipe) — Barre ta tôle, Nez-d'anguille, c'est moi qui télé aujourd'hui.

Etkip — Acoule, Klebbo, tu n'es béné pas consentant à ce qu'on désinfecte la télépathie?

Klebbo — Télé-maque jusqu'à mardi gras; où est-ce qu'on va piger l'huile de ricin pour fessier jusque là?

Etkip — Huile ton briquet, Klebbo, mon pépère est pompier.

Klebbo — Il rouspille, le veau, il faut que je lui donne un coup de pouce pour lui faire tirer la langue.

Etkip — Télescope les pivoine, engine les marguerites, la procession des bons pâtissiers dure juste le temps des coups d'encensoir. Quand il n'y a plus d'encens, il n'y a plus d'encensoir; et quand il n'y a plus d'encensoir, il n'y a plus de procession.

Klebbo
— Yes, les badauds se rétrécissent.

Etkip — Ils se refoulent, les fanaux de dames.

Klebbo — Donne-lui toute la réglisse du restaurant, ma pépé, tords le torchon que ça dégoutte un peu. Avant de couper le jambon, il faut affiler son couteau.

Etkip — Le tranche-noix est tuberculeux: veux-tu que je te donne un coup de main.

Klebbo — Un coup de pouce, si tu veux, chéchène.

Etkip — Je vais te donner un coup de dent.

(Les trois poils font: « Oh! »; le testicule fait: « Ah!»)

Klebbo — Coulante la snac, tu m'étrangles avec ton lasso.

Etkip — Ta, ce n'est pas avec une ficelle qu'on chippe un buffle par le cou pour le convoyer dans une cage.

Klebbo — Peut-être, Cadou, peut-être, mais si tu trais tout èa coups de peigne, il ne restera plus de mélasse pour le dessert.

Etkip — De quoi que tu jaspines, il n'y a rien qui est sorti encore.

Klebbo — Non, mais la locomotive est à la veille de rentrer dans la gare comme une ourag de la préhisse.

Etkip — Bien alors, il est temps de parquer ton convoi.

Klebbo — Ouvre les écluses, Tétine, la mouillée galope.

(La brassière devient soudain fripée et la casquette se fane.)

Etkip — Ne mets pas les freins, Klebbo, les pipots sont solides.

Klebbo — Gare aux arsenals, je me cogne sur tes pointus.

Etkip — Ne chiâle pas pour rien, le sillon est frais.

(La pipe s'éteint. La jarretière claque. Le lacet s'assoupit.)

Klebbo — Tout cuit pour le hareng saur?

Etkip — Bise-moi le caraco.

(Le vagin se voile la face.)


Rideau

samedi 19 janvier 2008

La jeune fille et la lune

(Le fond de l'eau. Entre deux eaux flotte la jeune fille noyée. En haut, à travers l'eau, le ciel est visible. Les nuages s'y entassent; seul un très petit rayon de lune trouve passage à travers les nuages et se reflète jusqu'au fond de l'eau.)

La jeune fille — Les phares de la ville jouent des hymnes joyeux par rafales dans mes cheveux, l'angoisse pénètre sa lame de poignard lente dans les chairs, le brouhaha danse un quadrille sur le trottoir semé de bas de soie et la noyée flotte dans ses souvenirs.
L'eau est verte. J'ai soif.
Les mémères dandinent leurs derrières dans la promiscuité des boudins et la rue hurle sa plainte et son indifférence.
Taxi! dis-je. Et l'eau brune tournoie dans mes oreilles.
La ville avec ses voiles de fer ondoie dans son vertige, et les cœurs ballottés dans le creux de son rythme se réchauffent aux caresses du vide.
L'eau boit, l'eau mange, et je tiens mon œil clos dans son intestin.
Les cloches crachent à l'intersection des ruelles à sens unique, et les bébés effeurent mes jambes en traînant leurs derrières dans les charbons.
La ville de diamants frissonne et vomit la chair trop lourde et entassée et l'eau rampe jusqu'aux rebords des robes indécises.
Et la circulation se débloque, et les agents de police à la casquette bien reluisante dessinent des fleurs dans l'air avec leurs doigts, et les demoiselles émues s'acheminent au port.
Des sèves opiniâtres ont garni les arbres tristes des trottoirs, et les greniers tumultueux ont soupiré aux sons saccadés de ces pas jeunes.
La rivière étend son corps de dame riche habillée en Orient, et la ville trapue y reflète son amour.
La ville dépose son nouveau bijou sur la gorge de la rivière, un bijou de chair.
L'amante tressaille, et la chair s'installe muettement dans un sillon irisé de ses multiples seins.
L'eau silencieuse me parle en cadence.
Les poils de l'aurore ont scintillé en diamants, le vidangeur a balancé en arc le ding dong de sa musique, la fleur absente a promené le parfum de son fantôme sur la silhouette des cabanes modernes, et le flot par destin a entraîné sa charge.
Les genoux verts se sont montrés par-dessus l'herbe et les maringouins ont regardé à l'intérieur des pantalons. Le rivage n'a reçu du drap d'eau que l'apparence du silence et la paix s'est crue victorieuse.
Le carroussel a mené par les sentiers de ciment son désœuvrement. Les grasses filles se maquillent rythmiquement, et l'eau verte a dilué leur sueur. La ville a avoué sa vie dans ses craquements et l'eau hypocrite a avoué un masque de beurre.
Le soleil éblouit les fronts des demoiselles émues échappées à la lourdeur des caves.
Holà! Holà! Les rats du quai jeûnent!
La rivière a fait flac et puis s'est rabrillé de son bras gauche.
Le corps de la ville a sué à pleins pores frénétiquement les phares voraces de ses tourbillons, mais la foule gluante a répondu par le désert.
Hon! hon! a fait la pie de l'usine.
Les gars en casquette ont créé de grandes ombres fantastiques en maniant les bras d'acier, mais la rivière taciturne avait rétabli sa peau bleue sur son sang noir.
La ville élevait en cap sa masse bossue et les paupières baissées de la noyée voyaient à travers la brume verte l'attouchement de sa froideur
Verte! L'eau est verte, dit la noyée, et mon nez ne veut pas saigner.
Le corset charnu s'ébat non loin de la vapeur de l'engin; la rivière cèle toujours sa prise.
Le parc public surchargé d'allongements pâlis a dit merci quand les gratte-ciel ont penché leurs fronts qui s'ennuient. Mais cela n'adoucit pas mon néant.
Des flots de liqueur ont déferlé sur le pavé brûlant, mais la tendresse couverte de plumes rouges est morte de soif.
Des carcasses, dans leur mollesse horizontale, ont dit que l'eau grise n'a pas rassasié.
Le cri du marché de poissons me parvient ficelé et la vie par blocs assourdis.
Je vois la procession des ponts au bout des herbes marines qui lancent au lasso leurs trémolos et tout à l'heure le coq s'est tordu dans un caillot de sang.
Des jambes sans corps ont étiré leur blancheur embrumée au temps de la danse au trombone du soleil.
L'eau me fait penser à la farine.
Pfiuu! Les sifflets des enfants ont fait silence et les talons haut des ménagères bouffies.
Chut!
La poulie du paquebot cille.
Non.
Oui.
Non.
Chut!
Quoi?
Non.
Un moteur à pétrole est brassé dans son ventre.
Pourtant non.
Chut!
Non.
Je n'aurai plus mal aux dents.
Mais qu'est-ce donc qui me chatouille?
Les lianes charnelles agonisent dans les vapeurs de chaux de la vie.
Exclamation! Exclamation! je perds ta trace.
Hep! Hep! Torture dans l'anéantissement!
Pourquoi voulez-vous que je revive?
Étincelles dans les gouffres inarticulés, pourquoi venez-vous me faire tressaillir dans mon silence comme le cuisinier qui pique la saucisse avec les deux dents de sa fourchette?
Des grappes de vie sans pitié ont infiltré leurs ventres ronds dans la pesanteur de mon repos et je sens sur ma chair à côté des veines glacées les reflets bleus de leur chatouillement sucré.
Mais quoi? Mais quoi?
On me réveille par la torture.
Je dors. Je dors. Je veux dormir.
Le vomissement de la ville s'est englouti dans la débâcle marine et il n'y a plus de vie.
Où est la vie?
Le chant des boutons d'or alanguis dans les parcs publics martèle mon oreille comme l'assaut des jambes tordues des nains mérovingiens et les soupirs encore me parviennent des amours incolores.
Encore il me semble que mes narines se dilatent au parfum de la lune et que ma joue trouve sa place sur le sable de son manteau de velours.
La lune.

L'écho — La lune!

La jeune fille — La lune.

L'écho — La lune!

La jeune fille — J'ai rêvé de la lune.
À travers mes bandeaux je voyais la lune.
Ma langue d'enfant a sucé le cornet jaune de la lune.
J'ai dansé avec les crapauds de mon imagination sur la flûte tendre de la lune aux bords des trottoirs de ciment.
Je me rappelle la lune et la lune me rappelle à la vie.
La vie a expiré dans l'extase de la lune et la lune a fracassé son jus pur sur les blocs de béton.

J'étais enfant et j'ai dit à la lune des paroles entremêlées de vase et de lumière comme un arc-en-ciel ensorcelé par un prisme et j'ai souvenir de vêtements trop étroits ou trop larges.
La lune avait plongé son doigt jusqu'au fond des égots et je l'ai vue creuser les odeurs âpres et baiser l'âme de la cité immortelle.
Je n'aurai plus de repos.

(La jeune fille commence à s'agiter et on dirait qu'elle veut tendre les mains vers le petit rayon de lune. Elle bouge par saccades comme un dormeur qui a un cauchemar. Ses yeux sont clos.)

Je veux dormir.
Les corps des noyés ont dit: Je dors, et ils ont suivi le courant comme des poissons géants.
Au coin d'une rue une fille arrange son bas et demeure un moment les yeux vagues dans les réflexions de sa cuisse. Pourquoi? Pourquoi la paix refuse-t-elle?
La procession des spasmes ne veut pas que je me repose.
Où allez-vous? Pourquoi cette éternelle procession qui est un lingot de feu dans la nuit?
Là ! Là! Vous consumez mon repos dans votre brasier!

(Elle tend les bras convulsivement dans la direction du rayon de lune.)

D'où vient ce tuyau de vie?
D'en haut, d'en haut, là, je ne sais pas!
C'est le serpent de Saturne qui a cessé de se mordre la queue! Ha! Ha!
Il est tombé dans l'eau!
Ma ville était innondée autrefois. Je me rappelle. Le ciel inondait ma ville autrefois. C'est là. C'est de là que ça vient.

(Elle essaie de soulever ses paupières et ne peut pas.)

Dans le ciel les astres chantent.
La laiterie céleste besogne toute la nuit et le liquide brillant coule de toutes ses parts dans le sommeil universel, flairé seulement des noyés. Et la plus grosse des mamelles s'épanouit au centre. C'est la lune.

L'écho — La lune!

(La jeune fille s'agite davantage et ses mains fouillent l'air comme un aveugle qui cherche quelque chose. Elle flotte toujours horizontalement.)

La jeune fille — Les rosiers ont une odeur et la lune un éclat.
Mon être vibre. Je suis un pépin de pomme au soleil.
Je suis un linge de vaisselle accroché à un clou au revers du vent.
La lune a laissé s'égoutter son lait dans ma fosse.
Je le sais.
Je sens l'éclat de la lune sur mon ventre.
La lune a pourfendu le flot de son épée d'argent.
Des gouttelettes de lumière collent à mes tempes.
Il y a un rayon de lune.
Le silence de l'eau dormante a-t-il une fenêtre ouverte?

(Elle agite davantage ses bras et elle commence à flotter dans la direction du petit rayon de lune.)

Le sommeil silencieux m'appelle et l'éclat de la lune m'appelle.
Je ne peux pas trouver ce rayon de kune!
L'éclat de la lune n'est pas assez fort pour dévisser l'urne de mes paupières. La palpitation de mon âme demeure enfouie dans l'Immobilité immuable.
Il suffirait pourtant de laisser choir tout le lait dans la plaine et les eaux.
Les tables des cabarets tournoient en éventail comme des cartes sur un tapis et puis le fourmillement à son tour s'éteint et la lune peinture l'obscurité en jaune.
Mon ventre endormi veut être peinturé en jaune et mes doigts engourdis et mes paupières mauves.
Les dents d'ivoire de la lune!

(À ce moment les nuages s'écartent et le petit rayon de lune devient une vaste illumination ayant la forme d'un manteau. La lune apparaît au centre resplendissante de lumière, vaste et épanouie.)

Mon cheveu dans les herbes dolentes tressaille.
La poudre de feu aboie dans mes veines.
Le démon aux cornes vertes gesticule une frénésie de tigre dans mon estomac.
Le courant marin me tient dans ses bras et l'éclat me tire avec sa perche.
Je suis un peu de crème qui coule du trou d'un pot.

(Elle flotte horizontalement dans la lumière de la lune puis elle flotte verticalement.)

Je pleure dans le doux manteau de velours.
Je vois du cinéma: mon enfance parade au pas de gymnastique.
J'entends les clairons et la foudre de l'âge.
La tour de la ville s'écroule avec fracas et les moribonds de la cité volent à pleins bras au-dessus des ruines en s'encourageant du craquement de leurs os.
Leurs visages n'ont plus de chair, j'en vois un, je me reconnais dans le miroir des os de son bassin.
Une faux ocre fauche sans maître par habitude.
Hoquetons en ch
œur, frères!
La rivière placide vieillit mon jet de lune, il tremble comme un vieillard.

(En flottant toujours, elle va en montant dans la lumière de la lune.)

Manteau émouvant, les hameçons cachés dans tes plis m'entraînent vers ton cœur et ta cervelle et je ne peux pas résister car je pleure.
Doux manteau, laisse-moi me réfugier dans ton éclat comme dans le flanc d'un chien.

(Elle frotte sa joue au rayon de lune comme s'il était de velours.)

Des cloches abîment le froid et le bariolent de mille teintes dans le rythme d'un cœur qui naît à la vie.
Rivière, nous sommes saoules!
O doux manteau!

(En s'agrippant amoureusement au rayon de lune elle monte jusqu'à la lune. Elle prend la lune dans ses bras.)

La vie! La vie!


Rideau


lundi 14 janvier 2008

Les reflets de la nuit

(Des arbres dans la nuit. Un ciel avec de grosses étoiles. Brumeux. Des éclairages violents et variés seront employés subitement pour mettre en relief les acteurs.)
(Deux arbres s'inclinent avec effort comme attirés l'un vers l'autre. Leurs faîtes se touchent formant une arche. Par cette arche entre un personnage gigantesque l'air plutôt épouvantable qui doit absolument être maquillé violemment avec du rouge, du vert, du bleu, du blanc, surtout du noir; ses yeux sont immenses. Il a une cape sombre qui n'en finit plus et un chapeau de vilain de mélodrame. Il est nommé l'introducteur.)

L'introducteur — Frédéric Chir de Houppelande est le plus grand des poète.
Ses paroles comme des feuilles de thé au fond de la mer languissent, il est le frère du hibou et sa voix est sœur du hibou, son rythme repose dans l'huile et s'y tord et induit les cerveaux des jeunes filles de la brume verte, sa main pantelante est le spectre des nuits coagulées, Frédéric Chir de Houppelande sort de l'eau tout ruisselant et se promène sur le sable inondé d'ombre et heurte son front aux guêtres du chêne et la jeune fille piaule voluptueusement dans le désert blanc. Frédéric Chir de Houppelande est le plus grand des poètes et sa voix alourdit les cœurs de lianes rousses. Chir de Houppelande c'est moi.

(La jeune fille Corvelle bondit d'entre deux arbres en sautant sur les mains et en exécutant une pirouette.)
(L'introducteur bondit sur elle et l'empoignant aux épaules il la plie en deux et approche sa tête tout près de la sienne. Sa face est féroce.)

L'introducteur — Je voudrais porter à mes lèvres une larme de la nuit qui m'hallucine. Je suis halluciné, et je hurle et je hurle et les crépitements des mirages ne me répondent pas.

Corvelle — O Frédéric Chir de Houppelande, où es-tu? j'ai nagé en toi dans les remous du chant. Le filet de la lune est une ceinture qui m'unit à toi par les hanches. Deux chiens trînant un lourd ballon m'ont amené ici. J'ai rencontré un sillon ténébreux dans la nuit, un rêve incolore qui plie mon corps en deux. Frédéric Chir de Houppelande, je suis à toi, ton haleine est venue jusqu'à moi frôler de vapeurs tièdes mon corps. Je suis à toi, qui me dira où te trouver dans la virginité de la forêt?

L'introducteur — J'oserai rentrer dans les murailles des ténèbres à l'observation de cette jeune fille qui parle de Frédéric Chir de Houppelande. Mes ongles ont parfumé son cœur.

(Corvelle se roule par terre en riant.)

Corvelle — L'herbe sent mon corps et ainsi j'ai connu Frédéric Chir de Houppelande dans le réflecteur strident et blanchâtre de la pensée. La lune baisera mon ventre et la réponse coulera du pis pressé de l'étoile. L'univers en rut me murmure dans ses frémissements des paroles bien-aimées de Frédéric Chir de Houppelande.

(Un câble lancé des coulisses harponne une étoile; à l'autre extrémité du câble est une ancre de navire sur laquelle est assis Hurbur qui se balance ainsi dans l'espace, accroché à l'étoile.)

Corvelle — Un jeune homme se balance dans le lait immobile des étoiles. Je me suis donné rendez-vous dans la forêt, et j'écouterai la voix du poète Frédéric Chir de Houppelande.

(Pendant ce temps, l'introducteur ayant saisi sa cape dans sa main gauche en guise de semoir passant devant chacun des arbres de la forêt a fait le geste du semeur et les arbres à mesure qu'il les ensemence imaginairement s'illuminent de rouge comme s'il semait sur eux la couleur rouge.)

Les voix de la forêt (venant des arbres illuminés de rouge) — Je chante la voix de Frédéric Chir de Houppelande qui a dit: « Je berce la jeune fille comme le lac berce le ciel ».

Corvelle — Je veux être les copeaux de cette voix du poète.

Les voix de la forêt — Jeune fille, ne sens-tu rien?

Corvelle — Quel est le jeune homme qui tranche et retranche la forêt comme un balancier d'horloge?

Les voix de la forêt — Il est un nouveau Frédéric Chir de Houppelande.

(Le rouge disparait des arbres.)

Corvelle (les mains jointes, s'approchant de Hurbur qui se balance toujours flegmatique) — Est-il vrai que de l'ineffable Frédéric Chir de Houppelande tu as glané un reflet? Si c'est vrai, tu m'es infiniment cher. Prends-moi dans ton dos, nouveau Frédéric Chir de Houppelande, fais de moi deux ailes qui te porteront au ciel, ente-moi au reflet de mon immortel idéal. Qui es-tu? Mais réponds-moi.

(Il ne répond pas. Elle danse devant lui.)

Corvelle — Qui es-tu?

Hurbur — Je suis Hurbur, le danseur.

Corvelle — Hurbur et Corvelle.

(Tremblant comme un spasme, l'introducteur porte ses mains à sa gorge, il fouille fébrilement puis d'un geste saccadé il entrouvre sa cape sur sa poitrine; de sa poitrine sort un rayon de couleur jaune qui monte vers les étoiles.)

Hurbur — Je n'ai pas besoin de tes ailes, toutes les passerelles aux étoiles me sont soumises, mais tu peux venir avec moi. Je travaille, je travaille sans cesse.

(Il saute en bas de son ancre.)

Corvelle
— La nuit s'étire comme un léopard, Hurbur, j'ai pris racine à ton flanc. Éternellement en moi cliquettent les échos de Frédéric Chir de Houppelande.

(Elle est éclairée de vert.)

Hurbur — Je mordrai en ta chair comme un soleil en délire. Viens dans ma niche. Suis-moi.

(Côte à côte Hurbur et Corvelle montent dans le ciel comme s'ils avaient un escalier ou une échelle. Rendu à la hauteur des étoiles, Hurbur s'arrête.)

Hurbur
— J'ai soif.

(Il décroche une étoile et la porte à ses lèvres. Pendant qu'il boit, un nuage passe et cache les étoiles, Hurbur et Corvelle.)
(Tranquillement, religieusement, l'introducteur se couche par terre sur le ventre la face au sol ses bras tendus se croisant, en avant de sa tête. On entend Corvelle qui pousse un gémissement, elle fait: « Ah! » comme une personne qui s'endort.)
(Le nuage disparaît et l'on voit Hurbur au même endroit tenant à bout de bras au-dessus de sa tête le corps roide et ensanglanté de Corvelle. La tenant toujours au-dessus de sa tête, il descend lentement jusqu'au plancher et il dépose le corps inerte par terre. En même temps le soleil commence à éclairer la forêt. Hurbur hume l'air à droite et à gauche.)

Hurbur — La nuit prend fin.


Rideau

samedi 12 janvier 2008

Le carrefour des chats qui deviennent hommes

(Nous sommes au carrefour des chats qui deviennent hommes. Un chat attaché est brûlé par Geaifrier.)

Geaifrier — Mornement je te brûle, chat.

Lodoque — Il est fatal que la sauvagerie crève de contrainte et devienne le jet d'eau sucré du parc national.

Geaifrier — Le phoque le dit.

Lodoque — L'habeas corpus le dit.

Geaifrier — Le schnock le dit.

Lodoque — Éperdument moderne, le fourreau dégainé à la main, l'ampleur adroite épile le dos du cave.

Geaifrier — Au scandale! La rumeur trébuche et se volatilise.

Lodoque — Paix. Quiet.

Geaifrier — Je souffre.

Lodoque — L'Oxford bonnet dissèque en fédora Joli tambour égosillé.

Geaifrier — Au scandale! Au scandale! Au scandale! Au scandale! Au scandale! Au scandale! Au scandale!

Lodoque — Fille, que tiens-tu dans tes culottes? que tords-tu dans tes culottes? Ah! la graine!

Geaifrier — Oh crie, oh crie, crie vers la muraille démarcale la marquise disséminée de bois blanc, crie, oh crie, oh crie, et tais-toi.

Lodoque — Le shah dessert le chat.

Le chat — Je souffre.

Geaifrier — Fauvette végétale, à quand le rendez-vous discret, la douce augure frimale où ta fragilité et mon empressement se puissent fondre en un duo floréal, te crever les yeux.

Lodoque — Les cerceaux visitent ton cerveau, et le mien leur barre la portière.

Geaifrier — Preuve que nous sommes conscients.

Lodoque — Absalon.

Geaifrier — Salom.

L'horloge — Abolition!

Lodoque — Au vote!

Geaifrier — La fondation du tracteur grince. Chenille sur les marais. Ce coin de satin noir ne suffira pas à cacher la bouche de votre aisne vestimentaire!

Lodoque — Nous sommes deux et il vous faut une majorité pour gagner, je suis contre vous.

Geaifrier — Madame, je peur l'appétit.

Lodoque — À vos pieds, sénorine, mais le devoir redresse les apôtres fléchis.

Geaifrier — Le constable ne devrait pas faire des grimaces à la fille de table avec sa verge enflée qui a les oreillons.

Voix de femme — J'ai beurre.

Geaifrier — Crouac! Crouac! Soutenons les cuisses poilues et abolissons l'ardoise de guêtre. Il fuit, il fuit! le fils de Socrate, il donne la main à son ombre le long du canal. Le long du canal, il tâte son ombre, le long du canal ils étaient un, ils sont devenus deux.

Lodoque — Le brouet pour les danses catalanes! il nous faut les nombrils trémoussants, il nous faut la polka des nombrils réglée par la température des viscères.

Geaifrier — Ainsi soit-il. Il nous faut l'orgue et l'odéon des vertèbres.

Lodoque — Et la matrice inspirée du lavabo épinglé.

Le chat — Je souffre.

Geaifrier — Liszt ne sera pas, Liszt ne sera plus. Cours chez la boulangère et mêle malicieusement le saucisson au pain. La bonne dame t'offrira merci et le fer lessivé de son cheval.

Lodoque — Ram! Ram!

Geaifrier — Approche ton dos, approche les gâteaux blonds de tes fesses!

Lodoque — Lolita!

Le chat — Je souffre.

Geaifrier — Au scandale! Au scandale! Pourtant la tâche nous ramène à la solennité.

Lodoque — Il est d'usage de tuer en haut-de-forme.

Geaifrier — Redevenons graves comme des bouffons, il n'est plus séant que nous soyons gais lurons comme des croque-morts.

Lodoque — Tatouons le front de la femme par distraction.

Geaifrier — Pirates, pirates, attention, et vous aussi, mercenaires. Picasso ne sera plus Picasso, il sera la boule de cuivre au terme de mon escalier à ma porte. Des réjouissances seront organisées, la femme dodue laissera voir dans son corset pour cinq sous, la boule de cuivre me sourira dussé-je baisser la tête de honte.

Lodoque — Yes, pal.

Geaifrier — Passe-moi l'aspirateur d'air frais. L'esprit de finesse étouffe.

Lodoque — En haut, les fronts, en haut vers la spirale d'or bleu. Mais ils retombent dans la pâte comme des goitres évadés.

Geaifrier — Pipine l'a dit.

Lodoque — Laissez mourir ce dieu qui vous a tant aimés. Il faut teindre en rose ces voiles qui vous ont tant léchés.

Geaifrier — Pipine l'a dit.

Lodoque — Au boulot!

Geaifrier — Les enfants qui ne sont plus des enfants doivent se couvrir de longues culottes. On ne tolérera pas que des petits pâtés de sable soient faits par des adultes. On ne le tolérera pas. On les conduira sous la guillotine des plumes. Des plumes de paon. Si vous songez à respirer, offrez d'abord votre révérence aux cuves de dinosaure. Dino, dino. C'est vrai, j'oubliais. N'oublie plus, frère.

Lodoque — Le rouage broie les sentinelles de paille. Pas les culs bien garnis. Pas l'hostellerie de la faune.

Geaifrier — Tu mourras. Que veux-tu? les lois fixées sont générales, du solennel nous passerons tous au triste.

Voix du facteur — Une lettre pour le chat écartelé!

Geaifrier — Ce n'est pas ici. Une lettre ne nous concerne pas. Pas de lettre!

Voix de mozo-amac — Pour être compris en quelle langue faut-il parler?

Geaifrier — En ustakan.

Lodoque — Pour la circonstance du solennel tous au triste.

(Le chat devenu homme demeure muet.)

Geaifrier — C'est égal, je récolterai l'envie du hoquet et la lassitude de la pénombre. Parle au bon Samaritain, ton hospitalier conseil.

Lodoque — Une farce!

Geaifrier — La manie de dire la vérité pour être cru!

Lodoque — Pif!

Geaifrier — Dis-le à Solon, dis-le à Solon, nous écoutons tous. Finies les croûtes de groseilles, et les pléiades de maricoco!

Lodoque — La fin recommence, la fin recommence.

Geaifrier — La fin recommence. La violence grouille, elle grimace de méchanceté ou de douleur, de méchanceté sans doute, elle progresse en rond, elle traîne lourdement, comme un coquin gras puni au bagne, son déplacement aigu nous fait grincer des dents, tous nous la trouvons hideuse.

Lodoque — Tous!

L'horloge — Résignation!

Tous les objets existants de la terre — Résignation!

(On devient conscient du défilé interminable d'hommes qui se suivent, tous semblables, indifférents et corrects, liés l'un à l'autre par une mince et délicate chaîne aux poignets.)
(On entre l'ancien Chat au hasard pamis la chaîne humaine.)

Geaifrier — C'est la vie! C'est la rançon de la sécurité.

Le bois du plancher sur lequel la chaîne humaine marche — Peut-être.


FIN